samedi 9 novembre 2019


Violence proportionnée

23 septembre 2019



Un sentiment de gâchis. Voilà ce que j’ai ressenti en quittant précipitamment la marche pour le climat du 21 septembre à Paris, après que les explosions et colonnes de fumées au milieu de la foule aient cristallisés en moi et ma compagne la même crainte que nous lisons dans les regards embués par les fumigènes autour de nous. Mon verdict est immédiat : notre mouvement pacifique, non-violent, a été parasité par ces casseurs de black blocs, dénaturant nos valeurs et brouillant notre message. Enervé, je voudrais les voir enfermés, ces jeunes anarchistes trop pleins de testostérone.

Une fois calmé, je ne peux plus me contenter de ce jugement émotionnel basé sur plus de préjugés que de faits, aussi je m’en vais lire ce que je peux trouver d’analyses sur le sujet. Et bien sûr, comme souvent, mon premier avis est à côté de la plaque. Tactiques de manifestations originaires de Berlin-Ouest, mouvances spontanées et déstructurées, convictions et solidarité, voilà de quoi sont faits les blacks blocs. Si la destruction matérielle est courante, les cibles sont spécifiques : l’Etat, le capital, la consommation. Et si la police est attaquée, c’est en réaction à sa propre violence croissante. Les black blocs sont habités par la certitude que la contestation du pouvoir traditionnelle a perdu de son efficacité. Qu’elle s’agence dans les cases du système. En réponse, ils se faufilent dans les failles, font éclater les statu quo.

Ainsi donc, qu’auraient-ils gâché samedi dernier ? Une nouvelle manifestation tranquille, à 20 milles plutôt que les 15 qui ont osé rester, que les 5 d’il y a 5 ans ? Je suis non-violent, je ne défendrai jamais leurs méthodes. Ce qui est sûr, c’est que les nôtres marchent mais ne fonctionnent pas mieux. Pour trouver la formule adaptée, il faut expérimenter. Malgré les médias qui divisent, nous avons les mêmes objectifs, les mêmes adversaires, seules nos méthodes divergent. Et nous n’avons pas plus le temps de décider de la sagesse des leurs que de décider s’il faut appeler les prédateurs sexuels des porcs. Le problème est autrement plus grand.

Pont de Sully, juin 2019 : Des militants bloquent, assis. Difficile d’imaginer plus inoffensifs, à moins de s’allonger sur le ventre. Légalement, la violence des interventions policières doit être proportionnée.   Et pourtant, après de rapides sommations, les forces de l’ordre les gazent en plein visage, parfois à moins de dix centimètres. La police ne durcit pas face à des individus extrémistes, bien au contraire. L’intensification de la répression est idéologique. Face à cela, la violence proportionnée est de notre côté : renvoyer des grenades fumigènes, charger ceux qui nous chargent.

Malheureusement, l’adversaire commun n’est pas derrière le masque et le bouclier. Il est derrière le micro et le bureau. L’adversaire est décideur, il est profit, il est contrôle. La hiérarchie ne communique que dans un sens : vers le bas. C’est donc vers le haut qu’il faut regarder.