Violence
proportionnée
23 septembre 2019
Un sentiment de gâchis. Voilà ce
que j’ai ressenti en quittant précipitamment la marche pour le climat du 21
septembre à Paris, après que les explosions et colonnes de fumées au milieu de
la foule aient cristallisés en moi et ma compagne la même crainte que nous
lisons dans les regards embués par les fumigènes autour de nous. Mon verdict
est immédiat : notre mouvement pacifique, non-violent, a été parasité par
ces casseurs de black blocs, dénaturant nos valeurs et brouillant notre
message. Enervé, je voudrais les voir enfermés, ces jeunes anarchistes trop
pleins de testostérone.
Une fois calmé, je ne peux plus
me contenter de ce jugement émotionnel basé sur plus de préjugés que de faits,
aussi je m’en vais lire ce que je peux trouver d’analyses sur le sujet. Et bien
sûr, comme souvent, mon premier avis est à côté de la plaque. Tactiques de
manifestations originaires de Berlin-Ouest, mouvances spontanées et
déstructurées, convictions et solidarité, voilà de quoi sont faits les blacks
blocs. Si la destruction matérielle est courante, les cibles sont
spécifiques : l’Etat, le capital, la consommation. Et si la police est
attaquée, c’est en réaction à sa propre violence croissante. Les black blocs
sont habités par la certitude que la contestation du pouvoir traditionnelle a
perdu de son efficacité. Qu’elle s’agence dans les cases du système. En
réponse, ils se faufilent dans les failles, font éclater les statu quo.
Ainsi donc, qu’auraient-ils gâché samedi
dernier ? Une nouvelle manifestation tranquille, à 20 milles plutôt que les 15
qui ont osé rester, que les 5 d’il y a 5 ans ? Je suis non-violent, je ne
défendrai jamais leurs méthodes. Ce qui est sûr, c’est que les nôtres marchent
mais ne fonctionnent pas mieux. Pour trouver la formule adaptée, il faut
expérimenter. Malgré les médias qui divisent, nous avons les mêmes objectifs,
les mêmes adversaires, seules nos méthodes divergent. Et nous n’avons pas plus
le temps de décider de la sagesse des leurs que de décider s’il faut appeler
les prédateurs sexuels des porcs. Le problème est autrement plus grand.
Pont de Sully, juin 2019 :
Des militants bloquent, assis. Difficile d’imaginer plus inoffensifs, à moins
de s’allonger sur le ventre. Légalement, la violence des interventions
policières doit être proportionnée. Et pourtant, après de rapides sommations, les
forces de l’ordre les gazent en plein visage, parfois à moins de dix
centimètres. La police ne durcit pas face à des individus extrémistes, bien au
contraire. L’intensification de la répression est idéologique. Face à cela, la
violence proportionnée est de notre côté : renvoyer des grenades
fumigènes, charger ceux qui nous chargent.
Malheureusement, l’adversaire
commun n’est pas derrière le masque et le bouclier. Il est derrière le micro et
le bureau. L’adversaire est décideur, il est profit, il est contrôle. La
hiérarchie ne communique que dans un sens : vers le bas. C’est donc vers
le haut qu’il faut regarder.
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