mercredi 26 avril 2023

 Violence légitime

11 avril 2023

 


Le 28 juillet 2020, le Ministre de l’Intérieur Gérald Darmanin a déclaré que « La police exerce une violence, certes légitime, mais une violence, et c'est vieux comme Max Weber ! ». Le 29 avril 2023, il a réitéré son propos en affirmant qu'il « n'y a pas de violences policières » car cela met « en parallèle la violence de ceux qui n'ont pas l'autorité légitime pour le faire, et ceux qui ont la violence légitime de l'État pour utiliser la force ». En invoquant l’un des fondateurs de la sociologie, il ferait mieux de commencer par le relire.

Voici ce que dit Max Weber : l'Etat est une « entreprise politique à caractère institutionnel lorsque et tant que sa direction administrative revendique avec succès, dans l'application des règlements, le monopole de la contrainte physique légitime ». Autrement dit, un pouvoir peut se revendiquer comme Etat à condition que les individus sur qui il s’applique lui reconnaissent la légitimité du monopole de la violence. C’est le cas dans tous les Etats véritablement démocratiques : nous déléguons la résolution des conflits au pouvoir judiciaire de l’Etat, qui ne peut l’exercer efficacement que parce que si un individu refuse son verdict (alors qu’il repose sur des règlements établis par le pouvoir législatif), celui-ci peut recourir au pouvoir exécutif (police et armée) pour faire appliquer ledit verdict. Les autres formes de violence sont proscrites.

La violence de l’Etat n’est donc pas légitime par nature : elle ne l’est que tant que les individus composants l’Etat la lui reconnaissent. On peut même considérer que si un pouvoir ne parvient plus à revendiquer cette légitimité avec succès, il cesse d’être un Etat. Il reste un pouvoir, mais de toute évidence autoritaire. Aujourd’hui en France, de nombreuses victimes et témoins de cette violence exercée par l’Etat dénoncent son illégitimité. En refusant de le reconnaitre, le gouvernement met l’Etat en crise, car l’Etat n’est qu’un instrument au service des individus qui le composent. Si ces individus considèrent que l’instrument n’est plus adapté à leurs besoins, il est de leur droit de réclamer sa réforme ou son remplacement.

Dans un Etat véritablement démocratique, un mécanisme institutionnel permet de réclamer ce changement : par des représentants comme les parlementaires, des groupes d’influence comme les syndicats, des collections d’opinions comme les pétitions. Or le gouvernement français actuel les ignore tous. Que reste-t-il donc aux individus pour réclamer ce changement, à part leur propre violence légitime ?

Des airs de paradis

Avril 2022


— Le Maroc fait partie de l’UEE ?

— Ah oui on est là ! Allons-y alors, que savez-vous déjà de l’histoire de l’Union ?

— Eh bien… Je sais qu’elle est créée au 20ème siècle après les horreurs de la Seconde Guerre Mondiale.

— En gros oui, il faut attendre le traité de Maastricht en 1992 pour qu’elle s’appelle Union Européenne, mais une communauté économique existe depuis le traité de Rome en 1957.

— Merci, monsieur le professeur !

— Vous ne préférez pas que je complète ?

— Si, si, je plaisante, il faut bien que j’apprenne. Elle intègre de nouveaux Etats régulièrement, jusqu’au départ du Royaume-Uni en deux-mille…

— Vingt. Le référendum britannique a lieu quatre ans plus tôt, mais le divorce est compliqué.

— Forcément. Si je me rappelle bien, c’est à peu près à cette période que l’écologie commence à prendre une place importante, mais ça ne bascule vraiment qu’avec la catastrophe de Thwaites dans les années 30 ?

— Oui, en 2037 le glacier Thwaites se décroche de l’Antarctique et fond rapidement, provoquant une hausse de presque un mètre du niveau de la mer. Un tiers des Pays-Bas, les littoraux belges et allemands sont submergés. Assez naturellement, le Groupe des Verts devient majoritaire au Parlement européen lors des élections de 2039. Je précise tout de même qu’entre temps, l’Union a intégré six nouveaux membres.

Pendant qu’Antoine explique cela, l’avion s’est placé sur la piste, et elle l’interrompt un instant pour profiter du décollage. La poussée des gigantesques réacteurs est enclenchée par le pilotage automatique, et le transport quitte rapidement la terre ferme. Son plaisir d’être à nouveau dans les airs est palpable, aussi le jeune homme la laisse tranquille un moment. La capitale des Emirats rétrécit rapidement, et la vue des tours excentriques est remplacée par celle monotone du Golfe Persique. Lorsqu’elle ne parvient même plus à discerner les bateaux à sa surface, elle reprend la parole.

— A quel moment est-ce que l’Union change de nom ?

— Les statuts de l’UE sont modifiés après la confirmation de la majorité verte au Parlement européen aux élections de 2044 : elle adopte le Règlement Général sur la Protection de l’Environnement – l’ancêtre du Code du Vivant – et devient l’Union Ecologique Européenne.

— D’accord, et ensuite ? Le réchauffement climatique est stabilisé à 2,1°C, on a réussi à sauver la planète. Est-ce l’Union Ecologique est toujours pertinente quarante ans après la neutralité carbone ?

— Effectivement, après quelques années de grâce, les écologistes ont connu une baisse de popularité. Bien sûr, les enjeux climatiques sont toujours présents, les conséquences de l’anthropocène seront encore à surveiller pendant des siècles : acidification des océans, dégel du permafrost… Mais l’Union s’est surtout réinventée autour de la seconde grande thématique environnementale : la protection de la biodiversité, et plus généralement le respect de la vie.

— La zootopie quoi.

— Haha ! Vous n’êtes pas favorable à l’égalité des droits ?

— Honnêtement ? J’aimerais déjà avoir les mêmes droits qu’un homme.

— Je comprends. En Europe, elle est déjà acquise entre tous les êtres humains depuis plusieurs décennies. Si c’était le cas également dans le CCO, ne vous semblerait-il pas juste de l’étendre à tous les animaux ?

— Je ne sais pas, j’ai un peu l’impression que vous cherchez à tout prix de nouvelles problématiques à résoudre, pour combler un manque, peut-être. Est-ce qu’une fourmi se soucient d’avoir les mêmes droits que moi ?

— Commençons par un exemple qui vous parlera plus : vous aimez beaucoup votre chien, si je ne m’abuse ? Ne pensez-vous pas qu’il mérite le respect de sa dignité, ou la liberté de se déplacer ? Si un humain le tuait, ne serait-ce pas un meurtre à vos yeux ?

— Si, bien sûr, mais certains disent que je considère Skanda comme mon enfant. Je ne pense pas pour autant qu’il faille accorder plus de droits à tous les chiens.

— Et pourtant, nous sommes tous l’enfant de quelqu’un. Votre sœur devrait-elle avoir plus de droits qu’une inconnue à l’autre bout du monde, simplement parce que vous y êtes attachée ? N’est-ce pas égocentré ?

— Evidemment que c’est égocentré, notre cerveau fonctionne comme ça : loin des yeux, loin du cœur…

— Individuellement peut-être, même si un certain nombre d’associations caritatives trouveraient à vous contredire. Quand bien même, notre égocentrisme ne peut pas justifier l’injustice. Nous sommes constitués en sociétés pour qu’elles soient meilleures que nous-même. L’humanité n’a eu de cesse d’étendre les frontières de l’égalité des droits : en abolissant l’esclavage, en émancipant les femmes, en autorisant la parenté homosexuelle, en arrêtant de considérer légalement les animaux non humains comme des biens meubles. Tous les animaux sont des êtres sensibles, et pourtant à ce jour seule l’UEE et une poignée d’autres pays pénalisent leur enfermement prolongé ou l’altération de leur intégrité physique.

Leena le sent ému et hésite à répondre, mais il ne semble pas avoir tout à fait terminé.

— Et puis, vous allez bientôt le découvrir, même avec un raisonnement anthropocentré, un continent regagné par la nature sauvage a des airs de paradis.