La forêt en héritage
28 janvier 2024
J’ai grandi à Bullion, dans la
Vallée de Chevreuse, au sud-ouest de l’Île-de-France. Quand j’explique cela à
une personne d’ailleurs, elle se figure tout ce que la région parisienne
inspire à l’imaginaire collectif. Pourtant, en allant vivre à Paris pour la
première fois à mes dix-huit ans, j’ai changé de monde. Je n’avais plus à attendre
trente minutes pour un bus qui en mettrait quarante à parcourir les douze
kilomètres me séparant du lycée. Le tumulte de la ville remplaçait le chant des
oiseaux, le grondement des cascades et le brame des cerfs. Mais plus que tout,
je quittais la forêt. Si je devais représenter mon enfance, ce serait avec
cette photo.
Je n’ai que récemment découvert à
quel point la forêt était au cœur, non pas seulement de ma vie, mais de l’histoire
de cette région depuis l’Antiquité. Commençons notre voyage par quelques
cartes, à commencer par celle de l’Île-de-France actuelle.
Si on y voit bien la zone
urbanisée dont les tentacules s’étendent de la capitale jusqu’à des villes
comme Coignières, Les Ulis ou Arpajon, il serait bien malaisé de tracer à main
levée la limite de la région francilienne. En revanche, on voit qu’elle englobe
trois des cinquante-huit parcs naturels régionaux français, ainsi que les
immenses forêts de Fontainebleau et de Rambouillet. Il faut donc remonter le
temps pour comprendre l’origine de cette délimitation – et sa versatilité.
Si la préhistoire se trace mal
sur une carte, on en sait nettement plus des dizaines de peuples Celtes (ou
Gaulois) qui habitèrent l’Europe pendant plus d’un millénaire. Parmi eux, celui
qui occupa la Vallée de Chevreuse est le peuple des Carnutes.
Ceux-ci occupaient le plateau de
la Beauce, sur les actuels départements de l’Eure-et-Loir, du Loiret et du Loir-et-Cher,
ainsi qu’une partie des Yvelines. La mythique forêt des Carnutes est connue
comme le lieu de rassemblement annuel des druides gaulois, à l’emplacement de
la ville de Chartes, qui leur doit son nom. Le peuple des Parisii, qui donna
son nom à Paris, vivait plus à l’est. Depuis l’arrivée des Francs et jusqu’à la
Révolution française, ce territoire change régulièrement de main au grès des
transferts de titres, dans ou hors du domaine royal. Il est intégré de 1790 à
1968 au département de Seine-et-Oise, qui enclave celui de Seine – Paris et sa
petite couronne.
Ce territoire n’est qu’une partie de ce que fut avant le
Moyen-Âge la forêt de l'Yveline, qui ceinturait Paris jusqu'à la Seine au nord,
et comprenait les forêts de Laye, de Fontainebleau, d'Orléans et de Dreux. Elle
est ensuite tellement défrichée qu’au XVIe siècle il n’en reste que
des massifs forestiers, dont la forêt de Rambouillet, qui devient un terrain de
chasse royale. Des reboisements sont opérés à partir du code forestier de 1827,
puis un plan d’aménagement datant 1892 est amendé plusieurs fois jusqu’à la
tempête de 1999.
Je ne me fais pas d’illusions : la majorité des
Franciliens n’a pas accès à ce cadre de vie privilégié. J’ai eu la chance (pour
peu qu’on aime la nature) d’avoir des parents romantiques qui ont choisi la petite
maison dans la prairie. Ceci dit, n’importe quel Parisien doté d’un Navigo peut
s’y plonger pour une journée au bout du RER B. S’il vous faut encore une image
pour bien vous projeter, sachez qu’au lieu des pigeons, j’ai grandi entouré de
cerfs, chevreuils et sangliers, d’un renard curieux et de quelques vipères (ainsi
que des poules, vaches, moutons).
Après avoir quitté les Yvelines pour mes études puis mon
travail, le hasard fait que je m’y retrouve, au bord d’une autre forêt, celle
de Saint-Germain. Ce n’est peut-être pas le rêve de tout un chacun, mais c’est
le mien. Et maintenant qu’il vous est familier, arrêtez de dire que je suis parisien !