dimanche 8 septembre 2024

 La forêt en héritage

28 janvier 2024

 

J’ai grandi à Bullion, dans la Vallée de Chevreuse, au sud-ouest de l’Île-de-France. Quand j’explique cela à une personne d’ailleurs, elle se figure tout ce que la région parisienne inspire à l’imaginaire collectif. Pourtant, en allant vivre à Paris pour la première fois à mes dix-huit ans, j’ai changé de monde. Je n’avais plus à attendre trente minutes pour un bus qui en mettrait quarante à parcourir les douze kilomètres me séparant du lycée. Le tumulte de la ville remplaçait le chant des oiseaux, le grondement des cascades et le brame des cerfs. Mais plus que tout, je quittais la forêt. Si je devais représenter mon enfance, ce serait avec cette photo.

Je n’ai que récemment découvert à quel point la forêt était au cœur, non pas seulement de ma vie, mais de l’histoire de cette région depuis l’Antiquité. Commençons notre voyage par quelques cartes, à commencer par celle de l’Île-de-France actuelle.

Si on y voit bien la zone urbanisée dont les tentacules s’étendent de la capitale jusqu’à des villes comme Coignières, Les Ulis ou Arpajon, il serait bien malaisé de tracer à main levée la limite de la région francilienne. En revanche, on voit qu’elle englobe trois des cinquante-huit parcs naturels régionaux français, ainsi que les immenses forêts de Fontainebleau et de Rambouillet. Il faut donc remonter le temps pour comprendre l’origine de cette délimitation – et sa versatilité.

Si la préhistoire se trace mal sur une carte, on en sait nettement plus des dizaines de peuples Celtes (ou Gaulois) qui habitèrent l’Europe pendant plus d’un millénaire. Parmi eux, celui qui occupa la Vallée de Chevreuse est le peuple des Carnutes.

Ceux-ci occupaient le plateau de la Beauce, sur les actuels départements de l’Eure-et-Loir, du Loiret et du Loir-et-Cher, ainsi qu’une partie des Yvelines. La mythique forêt des Carnutes est connue comme le lieu de rassemblement annuel des druides gaulois, à l’emplacement de la ville de Chartes, qui leur doit son nom. Le peuple des Parisii, qui donna son nom à Paris, vivait plus à l’est. Depuis l’arrivée des Francs et jusqu’à la Révolution française, ce territoire change régulièrement de main au grès des transferts de titres, dans ou hors du domaine royal. Il est intégré de 1790 à 1968 au département de Seine-et-Oise, qui enclave celui de Seine – Paris et sa petite couronne.

Ce territoire n’est qu’une partie de ce que fut avant le Moyen-Âge la forêt de l'Yveline, qui ceinturait Paris jusqu'à la Seine au nord, et comprenait les forêts de Laye, de Fontainebleau, d'Orléans et de Dreux. Elle est ensuite tellement défrichée qu’au XVIe siècle il n’en reste que des massifs forestiers, dont la forêt de Rambouillet, qui devient un terrain de chasse royale. Des reboisements sont opérés à partir du code forestier de 1827, puis un plan d’aménagement datant 1892 est amendé plusieurs fois jusqu’à la tempête de 1999.

Je ne me fais pas d’illusions : la majorité des Franciliens n’a pas accès à ce cadre de vie privilégié. J’ai eu la chance (pour peu qu’on aime la nature) d’avoir des parents romantiques qui ont choisi la petite maison dans la prairie. Ceci dit, n’importe quel Parisien doté d’un Navigo peut s’y plonger pour une journée au bout du RER B. S’il vous faut encore une image pour bien vous projeter, sachez qu’au lieu des pigeons, j’ai grandi entouré de cerfs, chevreuils et sangliers, d’un renard curieux et de quelques vipères (ainsi que des poules, vaches, moutons).

Après avoir quitté les Yvelines pour mes études puis mon travail, le hasard fait que je m’y retrouve, au bord d’une autre forêt, celle de Saint-Germain. Ce n’est peut-être pas le rêve de tout un chacun, mais c’est le mien. Et maintenant qu’il vous est familier, arrêtez de dire que je suis parisien !

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