Déconstruire la méritocratie
Mon patron a fondé sa boite
seul et sans capital, et je ne doute pas que les premières années ont oblitéré
toute perspective de vie personnelle. Il emploie aujourd’hui cinq-cents
personnes, et se verse un salaire confortable mais raisonnable en récompense de son abnégation professionnelle et ses multiples bonnes
décisions.
Quant à son patrimoine, il est
passé de rien (à part son capital culturel) à des capitaux propres de 12M€ et une
entreprise valorisée au moins le double. Il fait ainsi partie du 0,1% le plus riche
de France. Pourquoi seulement lui, alors que dès son premier salarié, la réussite
est devenue un effort collectif ? Parce qu’on a décidé il y a 200 ans que la
meilleure source d’argent, c’est l’argent. Je m’explique.
Et je caricature. Pendant les dix
siècles du féodalisme, le 1% des plus puissants, c’était les nobles. Leur
mérite, c’était leur loyauté envers leur seigneur. Avant cela, le 1% des plus
puissants, c’était les plus violents chefs de guerre. Puis est arrivée la
Révolution Française, et cette superbe invention qu’est la Nation (mon avis sur
celle-ci ici
et là).
Rapidement, les nouveaux princes sont devenus les grands bourgeois.
C’est mieux, je vous l’accorde, que
la force physique et l'autocratie. Mais est-ce bien ? Est-ce
juste ? On parle beaucoup de la prise de risque des actionnaires. Mais
c’est oublier un détail : la responsabilité limitée. Depuis le Companies
Act de 1862, « la personnalité morale est distincte de la société, de
sorte que les créanciers d'une société insolvable ne peuvent poursuivre les
actionnaires de la société pour le paiement de dettes impayées ». Autrement
dit, le seul risque, c’est de ne pas récupérer sa mise de départ. Quant à la
responsabilité juridique, elle est portée par le dirigeant, pas les
actionnaires.
Reste la loi du plus fort : l’arène
est ouverte à tous (sous condition de capital culturel). Les règles du jeu sont
connues. Plutôt que de critiquer, faites comme eux. C’est mépriser l’infinie
diversité humaine, qui aspire à des choses si belles et si variées, alors que
notre société ne récompense que l’entreprenariat. C’est ignorer que souvent,
pour qu’une telle entreprise réussisse, il faut exploiter des ressources
humaines et naturelles. Les voici, les vrais mérites de l’actionnaire :
le peu d’imagination, et le peu de scrupules. Il est peut-être temps de
reconsidérer (à nouveau) ce qu’est le mérite.