lundi 29 septembre 2025

 Déconstruire la méritocratie

 29 septembre 2025


Mon patron a fondé sa boite seul et sans capital, et je ne doute pas que les premières années ont oblitéré toute perspective de vie personnelle. Il emploie aujourd’hui cinq-cents personnes, et se verse un salaire confortable mais raisonnable en récompense de son abnégation professionnelle et ses multiples bonnes décisions.

Quant à son patrimoine, il est passé de rien (à part son capital culturel) à des capitaux propres de 12M€ et une entreprise valorisée au moins le double. Il fait ainsi partie du 0,1% le plus riche de France. Pourquoi seulement lui, alors que dès son premier salarié, la réussite est devenue un effort collectif ? Parce qu’on a décidé il y a 200 ans que la meilleure source d’argent, c’est l’argent. Je m’explique.

Et je caricature. Pendant les dix siècles du féodalisme, le 1% des plus puissants, c’était les nobles. Leur mérite, c’était leur loyauté envers leur seigneur. Avant cela, le 1% des plus puissants, c’était les plus violents chefs de guerre. Puis est arrivée la Révolution Française, et cette superbe invention qu’est la Nation (mon avis sur celle-ci ici et ). Rapidement, les nouveaux princes sont devenus les grands bourgeois.

C’est mieux, je vous l’accorde, que la force physique et l'autocratie. Mais est-ce bien ? Est-ce juste ? On parle beaucoup de la prise de risque des actionnaires. Mais c’est oublier un détail : la responsabilité limitée. Depuis le Companies Act de 1862, « la personnalité morale est distincte de la société, de sorte que les créanciers d'une société insolvable ne peuvent poursuivre les actionnaires de la société pour le paiement de dettes impayées ». Autrement dit, le seul risque, c’est de ne pas récupérer sa mise de départ. Quant à la responsabilité juridique, elle est portée par le dirigeant, pas les actionnaires.

Reste la loi du plus fort : l’arène est ouverte à tous (sous condition de capital culturel). Les règles du jeu sont connues. Plutôt que de critiquer, faites comme eux. C’est mépriser l’infinie diversité humaine, qui aspire à des choses si belles et si variées, alors que notre société ne récompense que l’entreprenariat. C’est ignorer que souvent, pour qu’une telle entreprise réussisse, il faut exploiter des ressources humaines et naturelles. Les voici, les vrais mérites de l’actionnaire : le peu d’imagination, et le peu de scrupules. Il est peut-être temps de reconsidérer (à nouveau) ce qu’est le mérite.