Le coopératisme, alternative au capitalisme ?
9 mai 2023
L’économie mondiale est
actuellement régie par le système capitaliste, qui malgré ses conséquences sociales
et environnementales délétères, semble impossible à questionner. Face à l’échec
de la mise en œuvre de son compétiteur du 20ème siècle, le
communiste (soviétique), l’idée a été martelée qu’il n’y avait pas d’alternative
au capitalisme. Ce système n’a pourtant que quelques centaines d’années tout au
plus. Il a donc existé des alternatives, et en y regardant de plus près,
on voit qu’il en existe encore aujourd’hui, à la marge du système dominant.
Avec un peu d’imagination, on peut donc parfaitement concevoir un avenir où le
capitalisme n’est plus la norme.
Pour chercher à le dépasser, il
faut commencer par définir le capitalisme : il s’agit d’un système
économique dans lequel le pouvoir économique est détenu par des capitalistes,
c’est-à-dire des individus avec suffisamment de capital pour peser dans les
décisions d’une entreprise. Autrement dit, tout individu ou ensemble
d’individus pourvu de capital peut créer une entreprise, en libre concurrence,
et obtenir de fait un pouvoir exclusif sur celle-ci, en particulier le monopole
de la propriété de ses moyens de production. On parle aussi de libre entreprise
ou d’économie de marché. Ce système présente le risque de concentrer le
pouvoir entre les mains d’une minorité : ceux qui détiennent un capital
important. Ce mode de fonctionnement de l’économie ne remonte pas à des temps
immémoriaux, comme certains osent le prétendre. Comme tout système, il ne commence
pas à une date précise, mais on peut situer son origine entre le développement
de la pensée mercantile au 16ème siècle – induite par la
prédominance des penseurs laïcs, mais aussi la Réforme protestante –, la pensée
libérale des Lumières, et le 19ème siècle marqué par la révolution
industrielle et la concentration des terres (en particulier le mouvement des «
enclosures »).
Depuis son instauration comme
système dominant, le capitalisme a été principalement opposé au communisme,
soit un système économique dans lequel le pouvoir économique est détenu par
la collectivité, en mettant en commun les moyens de production. On parle
aussi d’économie planifiée. Ce système présente le risque de concentrer
le pouvoir entre les mains d’une minorité : ceux qui gouvernent la
collectivité. L’exemple le plus flagrant est son instauration dans l’Union
soviétique, qui a rapidement dérivée par l’accaparement de ce pouvoir par le
seul Parti communiste.
Les systèmes économiques
foisonnent depuis les premières sociétés humaines (troc, don, réciprocité, commerce
sans marché global, monopole seigneurial, etc), mais on peut douter que les
systèmes passés puissent prédominés dans notre société actuelle, mondialisée et
aux besoins (ou désirs) exponentiels, ce qui ne les empêche pas d’exister à la marge
(plateformes de dons, monnaies locales, etc). Un système en particulier semble
au contraire parfaitement adapté à notre époque, puisqu’il représente déjà près
de 10% des emplois mondiaux[1]
: il s’agit des coopératives.
On peut définir le coopératisme
comme un système économique dans lequel le pouvoir économique est détenu par
des sociétaires, c’est-à-dire des individus participant en capital et en
opérations à l’économie d’une coopérative. On peut aussi parler d’économie
sociale. Ce système est apparu au cours du 19ème siècle, en
réaction aux conditions imposées aux travailleurs par le système capitaliste. Il
permet de s’affranchir du rapport entre propriétaire et travailleurs, car tout sociétaire
doit être l’un et l’autre, ce qui garantit les mêmes droits pour tous au sein
d’une coopérative. L’un des sept principes de la coopération est d’ailleurs la
prise de décision démocratique à une voix par membre, quelle que soit sa
participation[2]. Les six
autres principes coopératifs sont l’adhésion volontaire et ouverte à tous, la
participation économique équitable des membres (avec une rémunération limitée
et une propriété commune d’une partie du capital), l’autonomie et indépendance,
la formation et information, la coopération entre les coopératives, et enfin
l’engagement envers la communauté.
Comme tout système économique, le
coopératisme est également idéologique, avec pour principales croyances
la primauté de l’humain sur le capital, l’action utile au service de l’intérêt
collectif, la nécessité du statut privé et de l’indivisibilité des réserves (les
individus ne peuvent pas se les approprier), l’ancrage territorial et l'indépendance
politique. Ceci lui confère plusieurs avantages par rapport à ses deux
principaux compétiteurs.
La primauté du capital sur
l’humain ne bénéficie qu’aux humains avec un capital suffisamment important pour
garantir le respect de leurs droits humains, ce qui explique le rejet
massif du capitalisme par les classes populaires. Les gilets jaunes chantant
« pour l’honneur des travailleurs » en est un rappel flagrant. Si le
système capitaliste se prête de bonnes intentions, son idéologie libérale le
rend dépendant des bonnes volontés des capitalistes, qui priorisent
naturellement les décisions augmentant leur capital, souvent au détriment de la
solidarité et de la nature. La finalité d’intérêt général est au
contraire inscrite dans les statuts des coopératives. On reproche également à
l’économie de marché, et plus particulièrement la finance, son caractère hors
sol, déconnecté de la réalité et donc plus vulnérable aux crises économiques,
comme celle des subprimes en 2008. L’ancrage territorial des coopératives est
au contraire une garantie de résilience. Le coopératisme pourrait
également être une manière de ressouder des citoyens aujourd’hui divisés
entre une droite patronale et une gauche prolétaire.
De l’autre côté, le statut privé
des coopératives est une garantie de pluralisme aussi bien que de performance
à l’opposé d’un pouvoir centralisé comme celui communiste, qui même s’il est
élu démocratiquement, reste vulnérable aux dérives autoritaires et à
l’accumulation de mauvaises décisions économiques. L’économie sociale n’en
reste pas moins très proche de l’économie collaborative ou économie de partage,
qui repose sur le partage ou la mutualisation des biens, savoirs,
services ou espaces et sur l'usage plutôt que la possession. Contrairement au
communisme, cette mutualisation n’est cependant pas gérée par une unique
entité, mais au contraire par une variété d’acteurs privés, qu’ils soient à but
lucratif (Blablacar, Geev) ou non (couchsurfing, AMAP, services et prêts
d’outils entre voisins, l’emblématique Wikipédia). En se recentrant sur les
usages et en délaissant la course au profit, l’économie sociale est également
une solution de sobriété, condition nécessaire à la durabilité de notre
monde. Un exemple marquant est la coopérative d’habitants, qui permet de
construire un immeuble en mutualisant les coûts, puis d’y vivre en mutualisant
les services, avec des loyers toujours bas car exclu d’un marché immobilier
enivré par la croissance.
Le système capitaliste a permis
un développement technique remarquable aux nombreux bénéfices qu’il serait
ingrat d’ignorer : hausse du niveau et de l’espérance de vie, gain de
temps libre (malgré une régression récente), démocratisation de la culture. Il
s’avère cependant inapte à couvrir les enjeux existentiels de notre siècle :
le réchauffement climatique, l’effondrement du Vivant, la satisfaction des
besoins vitaux pour tous. Le coopératisme n’est qu’une des multiples alternatives
imaginables, pas plus exempts de risques que les autres, mais qui a le mérite
d’avoir déjà fait ses preuves, tout en offrant une vision plus optimiste,
solidaire et soutenable de l’avenir.
[1] Ce
chiffre de l’ICA est toutefois à prendre avec précautions : même si par
exemple les Caisses locales du Crédit Agricole sont des coopératives, ce n’est
pas le cas du groupe.
[2]
Contrairement à la gouvernance capitaliste qui accorde une voix de poids
proportionnel au capital investi.
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