dimanche 22 juin 2025

La nation des animaux

4 février 2025

Il était une fois une forêt dans laquelle régnait un cerf. Le cerf était bon : avec l’aide de fidèles sangliers, il protégeait les habitants de la forêt contre les loups de la montagne qui la surplombait, et les serpents de la rivière qui la traversait. En échange, les lapins, écureuils et renards offraient des graines au cerf. Presque tous les animaux mangeaient à leur faim, même si pour cela un renard devait parfois manger un lapin. C’était l’ordre de toutes choses. Mais certains sangliers, un peu goinfres, avalaient parfois les graines collectées par les petits animaux. Quand ceux-ci s’en plaignaient au cerf, le roi de la forêt leur donnait à manger de sa propre réserve, qui était immense. Mais il ne condamnait jamais les sangliers, car il était naturel que ces protecteurs soient privilégiés. Les petits animaux commencèrent à discuter entre eux, et trouvant cela très injuste, se révoltèrent contre les sangliers, qui étaient forts mais peu nombreux. 

Le cerf quitta la forêt, et tous les petits animaux décidèrent qu’à partir de ce jour, aucun animal n'aurait plus de droits que les autres. Profitant du départ du cerf, les loups demandèrent si eux aussi avaient les mêmes droits. Mais les loups ne vivaient pas dans la forêt, et les petits animaux décidèrent que ces droits étaient réservés aux habitants de la forêt. Alors les serpents, qui habitaient aussi dans la forêt sur les berges de la rivière, demandèrent s’ils avaient les mêmes droits. Mais les petits animaux décidèrent que ces droits étaient réservés aux animaux qui avaient offerts des graines au cerf. Quelques écureuils objectèrent que c’était très injuste, car ils n’avaient jamais eu besoin de la protection d’un sanglier, et n’avait donc jamais offert de graines. Ne trouvant pas comment exclure les serpents sans exclure ces écureuils indépendants, les petits animaux décidèrent que c’était ainsi, que les mêmes droits étaient réservés aux animaux de la forêt qui avaient offerts des graines au cerf. Comme cela était très long à dire, un sage renard proposa d’appeler cela la Nation de la forêt, et les membres de cette Nation, des citoyens. 

Comme les écureuils insistaient pour rejoindre la Nation, les petits animaux décident qu’il était possible de devenir citoyen, à condition d’offrir des graines aux citoyens pendant toute une saison. Des lapins d’une autre forêt, qui n’avaient pas de sangliers pour les protéger, décidèrent de venir avec beaucoup de graines. Mais tant que la saison n’était pas passée, les sangliers de la Nation ne les protégeaient pas encore, et beaucoup furent dévorés par les loups. D’autres lapins peinaient à trouvez assez de graines à offrir. Voyant cela, un renard rusé, qui connaissait les meilleurs arbres fruitiers, leur proposa de les y conduire, en échange de quoi il suffirait de lui offrir une graine par jour. Le renard accumulait toujours plus de graines, plus qu’il ne pourrait jamais en manger. Mais avec autant de graines, le renard était aussi fier que le roi cerf, aussi en voulait-il toujours plus. Comme la forêt de la Nation risquait un jour d’en manquer, il partit explorer d’autres forêts, puis d’autres renards l’imitèrent. Ils étaient accompagnés de sangliers qui obéissaient en échange de graines. Grâce à eux, les renards forcèrent les petits animaux des nouvelles forêts à collecter encore plus de graines pour leur offrir.

Les lapins, que ce manège commençait à priver de graines, demandèrent aux renards de redistribuer quelques graines, puisqu’ils en possédaient trop pour réussir à toutes les manger. Mais les renards rétorquèrent qu’ils les avaient méritées, et que tout animal était libre de faire comme eux, puisque tous avaient les mêmes droits. Pourtant chaque fois qu’un lapin trouvait un nouvel arbre fruitier, un sanglier lui barrait la voie. Pour y accéder, ils devaient maintenant travailler pour un renard. 

Les écureuils, qui pouvaient encore accéder aux fruits en passant par les branches, mais qui trouvaient tout cela très injuste, décidèrent de donner aux lapins toutes les graines qu’ils ne mangeaient pas. Les renards trouvaient cela très déloyal, car toute chose devait s’échanger contre une autre. Mais les écureuils n’étaient pas du même avis, et bientôt plus aucun lapin n’eut besoin de travailler pour un renard pour se nourrir. Sans lapins pour ramasser leurs graines, les réserves des renards finirent par se tarir, et les sangliers réalisèrent qu’ils n’avaient plus à leur obéir, et qu’ils pouvaient ramasser des graines eux-mêmes. Tous les animaux décidèrent alors que le plus important, c’était que tous mangent à leur faim. Tous les animaux avaient alors les mêmes droits, mais ils avaient aussi un devoir : si un animal ne trouvait pas à manger, et qu’un autre avait plus de graines que nécessaire, il devait aider celui en détresse. Alors tous les animaux mangeaient à leur faim, et plus personne ne se rappelait ce qu’était la Nation de la forêt, ni la différence entre un citoyen et un habitant de la forêt.

samedi 24 mai 2025

 La fin du capitalisme

25 mai 2025

 


Si nous voulons la fin du capitalisme, nous devons être précis. Autrement, dans la guerre des imaginaires, le capitaliste gagnera toujours en nous renvoyant à un passé moins prospère, moins libre, plus dangereux. Par exemple :

Je ne veux pas la fin de la méritocratie. Je veux une méritocratie juste, dans laquelle une personne qui contribue positivement à la société en travaillant dur est plus récompensée qu’une personne qui travaille moins ou qui contribue négativement. Mais qui décide du positif et du négatif, si ce n’est le marché ? Pourquoi travailler dans le soin, ou dans le livre, si cela est mal rémunéré ? Par la loi de l’offre et la demande, cela devrait attirer moins de travailleurės, générant une pénurie, ce qui augmenterait les salaires pour en attirer plus ! Le capitaliste comprend mal une notion : les convictions. Tant de personnes travaillent à l’hôpital dans des conditions effroyables pour un salaire médiocre, car si elles ne le font pas, des gens meurent. On ne travaille pas dans l’édition littéraire pour bien gagner sa vie, mais pour la conviction que le monde est meilleur avec des livres. S’ils étaient plus chers, il y aurait moins de lecteurs ; moins de demande. Le marché a parlé ! Mais la société en serait-elle meilleure ? Pourquoi tant de mairies subventionnent des bibliothèques gratuites ? A l’inverse, pourquoi les hôpitaux ne sont-ils pas suffisamment subventionnés ?

Je ne veux pas tout nationaliser. Tout organe dirigeant est faillible, qu’il soit public ou privé. La nationalisation concentre le risque, la privatisation le dilue. La compétition garantie la recherche de l’efficacité. Mais la concurrence peut exister sans quête de profit. Les éco-organismes s’affrontent pour avoir plus d’adhérents que les autres ; les écocontributions leur permettent d’augmenter la masse salariale ; ils peuvent avoir des actionnaires qui veulent une part de décision, sans rémunération ; et ils n’ont pas le droit de générer du profit. L’Etat-Providence pourrait fonctionner de manière similaire : tous les hôpitaux, toutes les écoles seraient privées et financées par l’impôt en fonction du nombre de patients ou d’élèves qu’ils peuvent accueillir ; libres d’allouer leurs ressources en fonction des besoins exprimés localement par les travailleurės et les habitants ; mais avec l’interdiction de générer du profit.

Je veux la fin de la spéculation (acheter pour vendre), des dividendes et des prêts à intérêt, mais je veux que le porteur d’un projet puisse toujours récompenser ses investisseurs. L’exemple du crowdfunding est intéressant : je n’investis pas pour générer un profit avec la récompense, mais parce que j’ai un intérêt à la réussite du projet.

Je ne veux pas la fin de la capitalisation (accumuler des richesses), mais je veux que ce capital cesse de procurer un pouvoir proportionnel. L’exemple des sociétés coopératives est intéressant : chaque employé est également actionnaire, et la voix de chaque personne a le même poids dans les décisions, quel que soit le capital investit.

Je ne veux pas la fin de la croissance économique : elle devrait permettre d’améliorer les conditions de vie, de réduire le temps de travail individuel, d’explorer de nouveaux horizons. Mais je veux qu’elle soit juste : elle doit commencer par garantir un niveau de vie décent à tous ; et réduire son impact environnemental plutôt que l’augmenter.

On pourrait débattre ainsi de tous les pans de la société. Je ne le ferai ni ici, ni seul. Mon propos est ailleurs : si nous voulons la fin de quelque chose, assurons-nous d’abord d’en comprendre toutes les facettes, et de trouver mieux à proposer.

dimanche 6 avril 2025

MAGA n'est pas nazi

6 avril 2025


Ne dites pas que Trump et Musk sont nazis : ils n’auront pas de mal à le nier. Le nazisme est une idéologie très spécifique, qui théorise une hiérarchie des races, repose sur l’idée d’un complot juif mondial et vise une expansion mondiale. Le régime qui se met en place aux Etats-Unis est quelque chose de nouveau.

Leur objectif semblait être un libéralisme économique absolu. Dans ce régime, le pouvoir se mérite, non par une élection, mais par la réussite économique. Le pouvoir public doit donc être supprimé au profit de pouvoirs privés. On créé alors une entité indépendante avec les moyens d’affaiblir ce pouvoir public, et qui ne rend des comptes qu’au Chef. 

Pourtant celui-ci ne semble pas tellement préoccupé par l’économie. Pas plus que de rester populaire. Ce qui compte, c’est que les choses avancent. Il ne gouverne que par décrets. La justice est trop lente pour l'arrêter, et si certains juges deviennent gênants, ils seront au mieux corrompus, au pire des traitres. Certains attendent les élections de mi-mandat : mais quand on dirige l’armée, qu’importe l’opposition d’un parti, et même du sien. Quant à la fin du mandat, on verra. 

Pas de protocoles des sages de Sion, la croyance commune sera un woke mind virus. Le terreau mondial du complot LGBT est déjà fertile. Il n’est pas question d’exterminer les personnes transgenres, mais elles ne représentent pas moins une menace pour la société. Une fois tous les changements de sexe à l’état civil identifiés par l’IA, il suffira d’ajouter un triangle rose sur leur compte Facebook ou X, afin d’éviter la propagation du virus.

Il faut ensuite tenir la promesse d’expulsion des millions d’immigrés illégaux. Le temps de régler les démarches administratives avec les pays d’origine, il faudra bien les incarcérer. Sans places dans les prisons, on construira des camps. Mais il est hors de question que l’Etat s’endette pour cela, alors on les fera travailler : efficacité, rentabilité. Musk a déjà démontré ce qu’il pensait des droits des travailleurs dans ses propres usines.

Reste la liberté d’expression, si chère au régime. Pas question de censurer, à part les publications scientifiques. Pour le reste, on laisse dire, il suffit d’inonder les médias de tout et son contraire. Les adversaires mentent pour être crus, on ment pour être entendu. Pour déconstruire la vérité. Le métro soviétique est le meilleur du monde ! Il le sera quand nous aurons détruit tous les autres métros. Le réchauffement climatique ? Même les scientifiques ne sont pas d’accords entre eux. 

MAGA n’est pas nazi, mais un lecteur d’Hannah Arendt y verra quelques techniques totalitaires : l’Etat parallèle, le complot mondial, la déshumanisation, l’instabilité permanente, la confusion entre fait et fiction. Le totalitarisme, ce n’est pas la dictature, ce n’est pas le fascisme. C'est que le monde soit tel que l'imagine le Chef.

samedi 8 mars 2025

    Kewanee — Chapter 6: The Mugen



Previous chapter: Nisan

Unlike the view from Arkaster, the Muir Concordia was narrow enough here to distinguish Kirighai on the other side. Despite this, throwing a bridge over these twenty kilometers of water was delusional. The first settlers naturally sailed there, until Niavhe convinced them to turn away. But there it was nontheless. Irregular, angled, as the small islands went by. But longer than anything that had ever been made. If not for the horizon that it skimmed, it could have been a path to the sky. Kewanee had been moved by sunsets on the docks, by Alteration wonders, or even by the dance of fireflies over a mountain lake. But nothing could compare to the sense of awe that shook her when she discovered Yong-Su’s eternal creation.

While she stood in contemplation, Ontemon sat in meditation. The Skein grew stronger as they approached the Katkera. The eternally anchored bridge somewhat amplified the life thriving on the other side. The healer was looking for peace, but an unexpected sense of danger overcame him instead. Something was wrong, but the Muna connection, unlike the Gestalt, only carried feelings. He would have to reach the first Refuge to investigate this. Suddenly impatient, he asked Kewanee if she was ready to cross. She nodded.

Each section of the Mugen was made of a different material. The first four were stone, ranging from black basalt to white marble. The one leading to Yong-Su Tenzing’s altar, made of oak, was the second of eleven wooden platforms. Even if Ontemon would have gladly run, nightfall required them to sleep on one of the islands. And of course, the Muna could never cross without honoring the spirits of Kirighai. Thus, the two companions stopped before each altar to address a prayer to its Eidolon. Most of them were unfamiliar to the young Arkasterian, and she pressed her mentor with questions. The biggest surprise for her stood under the fourteenth torii. A statue depicted a strong women dressed for travel facing a big brown bear. 

“Ulwyn was a strong leader of her time. Soon after Kirighai’s first exploration, the Prospectors’ Guild started looking for deposits of rare metals. The wildlife reacted violently to the drilling, and when the first Asgarthan was killed, weapons were drawn. Ulwyn both negotiated peace and united the animals to protect their land. The settlements were finally abandoned thanks to Kaibara and Niavhe, but Ulwyn at least made sure no mines opened.”

“She must have been very brave,” commented Kewanee. “How did she convince the bear?”

For the first time in hours, Ontemon laughed. “You got me wrong. Ulwyn is the bear!”

The last four bridges were the dazzling ones: the straw was stronger than it looked, followed by million-year-old amber, then glass, reflecting the sunlight in rainbows. The last one was still debated among Yzmir scholars. The most widely accepted theory held that it was pure, solidified Mana. Kewanee, like many before her, hesitated strongly before daring to set foot on this one, and kept her eyes down until she reached the end of it. When she finally dared look up, branches had replaced the sky. The forest was everywhere.

dimanche 9 février 2025

   Kewanee — Chapter 5: Nisan



Previous chapter: The Endeavor

Ontemon was leaving for a couple of weeks, on a pilgrimage to one of Kirighai’s Refuges. He had suggested that Kewanee accompany him, so she could learn more about the Muna. It would be the first time she had ever left Caer Eidos. For sixteen years, she had only known its fjords and canals, and the many rocky spines the Bravos fancied climbing. The forest was a complete mystery to her. This, of course, held some appeal for an adventurous young woman like her. She quickly agreed to go. Her fathers, although worried about the dangers of the wild and the risk of Tumult singularities, both agreed that she was old enough to explore the world. The Stata Matter granted her two weeks of vacation on the condition that she still provide first aid to any travelers in need, which went without saying.

Equipped in the Bravos way, with tight black pants, a wide red shirt, and a heavy backpack, she met the Muna healer at Svarga’s train station. The place was crowded with handlers loading or unloading supplies. Ontemon traveled lighter, confident that he would find everything he needed on the way. Tramway line 2 took them as far as Kladiver, where a Kelonic boat would carry them to the island of Nisan. The northern district lived up to its sinister reputation: its large, paved streets, once destined to greatness, were deserted, and the only light came from grim taverns packed with noisy sailors. Although not welcoming, at least this district was safe. The same could not be said of the one standing on the other side of the Sforafjord. The unfinished buildings of Usku, and its sister Koru, had been abandoned to criminals. To avoid both, the wheezing boat landed them north of the city, in a small creek.

Even if Kewanee had never set foot on Nisan, the landscapes of Caer Eidos’ third island looked familiar. But after half a day’s walk along colossal canyons and roaring rivers, she eventually noticed how different it was: in Kemeri and Sekent, you never lost sight of a human settlement. Here, of course, the path between Arkaster and the Mugen was also clearly marked. But apart from that, the only life was either wild or travelers like themselves. Close to Arkaster, the animals they encountered were the same as the ones she had observed in Kemeri’s mountains: marmots, red ibex and three-tails eagles, for the most impressive ones. But as they ventured further, so did nature’s creativity. The sunlight was obscured for a moment when a multicolored vulture, with a wingspan of four meters and a back covered in scales, flew over them. The following day, Ontemon pointed at what could have been a giant cat —if he hadn’t, she never would have noticed it.

“A shadow lynx”, he said, uneasily. “They are magnificent creatures. The color of their fur shifts as a camouflage. But they attack at night, we’ll need to take turns keeping the fire burning.”

For the first time in her life, Kewanee was afraid of something she did not control. As a Bravos or a Stata Matter agent, she often had thrown herself willingly into danger, but there had always been a way to turn back—though she never did. Living in a metropolis, she wasn’t used to untamed threats. Even Tumult singularities were almost completely contained by the Yzmir. Wilderness was nothing alike. That night, even during the healer’s rotation, she couldn’t sleep. And when her turn came, every slight sound made her heart pound like the Foundry’s pumps. When the sun finally appeared, she was both exhausted and relieved. 

They finally reached the Mugen on the third day, and a fourth one would be necessary to cross it. The teenager had heard stories about the miraculous bridge, of course. But nothing—oh, mighty—had prepared her for this sight.

Next chapter: The Mugen