dimanche 6 octobre 2019


De la convergence des luttes

6 octobre 2019



Sur le sujet de la convergence des luttes, l’occupation du 5 octobre est remarquable. Le centre commercial Italie 2 est pris d’assaut à l’ouverture par une horde de militantės, principalement écologistes sous la tutelle d’Extinction Rebellion. L’intrusion, dans le cadre initial de l’action, est non-violente : bloqueurės assiės dans les entrées le temps de faire entrer tout le monde, puis dégradations mineures pour bloquer les portes. Des médiatrices et médiateurs en chasubles orange rassurent les commerçantės, s’assurent que les participantės se sentent bien, et que le cadre de l’action est respecté. Entre autres organisations, des Gilets Jaunes font parti des équipes. De nombreusės camarades les rejoignent dans la journée. Une fois les entrées verrouillées et la frénésie de l’installation passée, des groupes s’organisent, discutent d’un premier ordre du jour commun, envoient unė ou deux représentantės à la première Assemblée Générale, pour décider de la suite de l’occupation.

La principale divergence entre les visions d’XR et des GJ s’annonce alors, sur la question de la violence. Pour XR, le cadre initial (pas de dégradations autres que celles nécessaires aux blocages, de propos haineux, d’alcool ou de drogue) est maintenu tant qu’une AG n’en décide pas autrement. Pour les GJ, ce cadre n’était valable que pour l’intrusion, et une AG pouvait au contraire décider de l’interdire ou non pour la suite. Sans décision claire, les deux réalités cohabitent, avec leur lot de tensions. Nombre d’écologistes quitte le lieu au cours de la journée, ne se reconnaissant pas dans les tags, surtout visant la police, les bières et les joints. Quant aux GJ, ils vivent l’intervention des Peace Keepers (tristement traduits par Gardiens de la Paix) à chaque appropriation de vitrine comme une répression policière, un service d’ordre défendant ses seules valeurs. La tension culmine lorsqu’un fachiste bien connu des GJ déclenche des envies de bagarres, tandis que d’autres s’emparent d’une lance à incendie pour accueillir les cordons de policierės qui s’organise autour du centre.

A force d’échanges entre gilets jaunes conciliantės et gilets orange diplomates, le calme revient, et nous sommes prêtės pour les tentatives d’entrée des forces de l’ordre. Après une vague de fumigènes aussi coutumière qu’illégale en intérieur, une brigade tente de franchir une barricade. L’assaut est repoussé avec force efficacité par le peuple des ronds-points, qui relance tous les obstacles à peines écartés. Une seconde tentative est avortée cette fois par une tortue, tapis de corps emmêlés cher aux écologistes non-violents. Les deux approches, complémentaires, ont fait leurs preuves. Dans le feu, l’alchimie a commencé.

Jamais occupés mais toujours aux aguets, seules les discussions nous distraient vraiment. Entre écologistes, nous parlons de notre rapport aux GJ, nos avis divers sur leurs méthodes, et les échanges que nous avons eus avec eulles. Avec nos idées croisées, nous finissons par admettre que soumis aux violences policières et médiatiques, on finit par ne plus vouloir, ou pouvoir, tendre l’autre joue. Nous, il faut le dire, sommes ou avons été en grande majorité des étudiantės blanchės du supérieur, jouissant des privilèges de l’indifférence et du détachement. Nous reconnaissons également que malgré sa pénibilité, cette confrontation de nos valeurs et méthodes à d’autres, radicalement différentes, est une chance et une opportunité.

La nuit avançant, la police s’est presque totalement désengagée, et l’Assemblée Générale de minuit s’ouvre sur cette question : partir ou rester. Maladroitement, le facilitateur de XR annonce en préambule qu’une majorité d’écologistes consultés souhaite s’en arrêter là, et qu’ainsi l’association se désengage, indépendamment des autres participantės. Qui en est le décideur ? La démocratie de la maison du peuple naissante semble court-circuitée. A raison, un GJ rétorque : la convergence se construisait, ne pas terminer l’histoire d’un commun accord serait un échec. La suite des débats est à mes yeux le moment le plus important de l’occupation. Les arguments opposés, s’ils sont clivants, ne dessinent pas pour autant des camps. Donner une bonne image aux médias est pour certainės une farce, pour d’autres la raison même de l’action et un moyen d’atteindre de futurės militantės. Les dégradations, un mal nécessaire ou des erreurs à effacer et nettoyer avant de rendre le lieu. Les quatorze heures d’occupation, une réussite ou seulement un commencement insignifiant. Partir de notre plein gré avant d’être délogés, une victoire élégante ou une défaite répugnante. Les propositions sont légion : partir discrètement en espérant leurrer la police, envahir la seconde moitié du centre au petit matin, se servir dans les boutiques au nom de la justice sociale.

La discussion piétine, les échanges deviennent nerveux, la fatigue se fait sentir, des colères émergent. Une proposition débloque le dissensus : proclamer l’autonomie de la commune d’Italiedeux, où chaque personne peut maintenant décider de partir ou rester sans rapport à son groupe d’origine. Une prise de température vient renforcer cette position : même au sein d’XR, l’envie de continuer est omniprésente. L’Assemblée se clôt sur un horaire pour la suivante et sans encore statuer de règles pour les dégradations. Des écologistes vont s’abriter dans le seul espace sans lumière pour tenter de trouver le sommeil pour une paire d’heures, sans succès. L’annonce finit par tomber : cela tourne mal, il n’y a plus de médiatrices/médiateurs, la police va attaquer violemment et des dégradations majeures sont commises. Rien de tout cela, semble-t-il, n’était vrai, mais XR a fini de céder l’espaces à d’autres. Sans plus trouver une seule tête familière, je m’esquive également. J’apprendrai plus tard que les occupantės ont finalement choisi de quitter le lieu sans faire de grabuge. La dernière Assemblée Générale a dû être bien différente de celle de minuit pour en arriver là.

Je ne saurais dire si la journée de cohabitation fut une réussite, mais quatorze heures ont suffi pour commencer à se comprendre, à remettre en question nos idées reçues, à accepter d’autres visions, parfois. C’était une première expérience de convergence, et elle fut riche. Nous avons les mêmes adversaires et les mêmes objectifs, aussi malgré nos désaccords, je suis convaincu qu’il va falloir la renouveler aussi souvent et aussi vite que possible. Il y a urgence, et beaucoup à gagner.

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