Un nouvel Horizon
17 avril 2021
Spoiler alert : à ne lire que si vous avez terminé Horizon Zero Dawn ou ne prévoyez pas d’y jouer.
Le jeu vidéo Horizon Zero Dawn
est remarquable à bien des égards. J’aimerais m’attarder ici sur la manière
dont son écriture, qu’il s’agisse du scénario ou de l’univers, contribue à développer
un nouvel imaginaire plus sensible. Foncièrement féministe et à contre-courant
d’une violence banalisée, son thème principal reste l’opposition entre le
Vivant et la Technique. En surface, le message est déjà écologiste : l’hubris
humaine (incarnée par Ted Faro, un homme) nous a conduit à concevoir des
machines capables d’annihiler la vie, et seule une abnégation totale (incarnée
par Elisabet Sobeck, une femme) permet de la sauver au prix de notre
civilisation. Dans ce contexte, la technologie est au service des deux
camps : robots de guerre face aux robots de dépollution, intelligences
artificielles militaires faces à celles du projet Aube Zéro.
Je préfère alors opposer le
Vivant, non la nature, à la Technique, non la technologie. Entre les machines
aux morphologies animales et les IA émotives, le Vivant est aussi artificiel.
La Technique, quant à elle, est idéologique : le progrès à tout prix, à la
fois moyen et finalité, quelles qu’en soient les conséquences. Le repentir d’un
des ingénieurs de Faro Automates est symptomatique : il ne pensait qu’aux
défis intellectuels et techniques, si seulement il avait imaginé les conséquences…
L’opposition entre Vivant et Technique m’a également frappée dans son
esthétisme. Les jeux vidéo de guerre sont emplis de vaisseaux spatiaux et
autres véhicules militaires aux formes élégantes, d’armes à personnaliser pour
les rendre plus jolies. Les robots « pacificateurs » de Faro n’ont
pas un design plus vilain, et pourtant, ils sont laids, d’une laideur qui n’est
pas intrinsèque, mais par comparaison à la grâce des machines animales, à la
beauté du monde vivant. Horizon n’est pas un rejet de la technologie, qui est
d’ailleurs vénérée autant que crainte par les nouvelles sociétés primitives,
mais un appel à la placer au service de la vie plutôt que la mort.
Et de le faire avec précautions
plutôt que démesure. L’IA d’intervention climatique Vast Silver en est un bon
exemple : l’intention est louable, mais le risque pris a failli s’avérer
cataclysmique. Il est ici question d’éthique des sciences : les
scientifiques sont-iels responsables des conséquences de leurs découvertes et
inventions, ou simplement des « techniciens » servant le progrès ?
Et dans ce cas, qui est responsable de l’usage de ce progrès ? Le jeu
nous alerte sur la délégation d’une telle responsabilité à des intérêts privés…
Mais pose aussi la question de la transparence : l’opération Victoire
Pérenne sert à camoufler, aux yeux de toute la population humaine, le fatalisme
du projet Aube Zéro. L’heure n’était peut-être pas au débat démocratique,
tellement la solution est radicale. Ici, le parallèle avec le projet Manhattan
est évident : le gouvernement américain aurait-il dû risquer la clé de
l’armistice en la soumettant aux critiques de l’opinion publique ? Ou
posée autrement : le gouvernement d’un régime démocratique peut-il décider
de l’annihilation de la vie sans l’assentiment de ses citoyens ?
Horizon permet de sonder notre
rapport au progrès, en rendant tangible notre potentiel de destruction absolue,
dans un 21ème siècle qui ne croit plus au risque d’un hiver
nucléaire. Nous sommes aujourd’hui plus préoccupés par ceux du réchauffement
climatique, mais il nous est difficile d’appréhender leur ampleur :
l’activité humaine peut provoquer sécheresses, incendies et inondations, mais
la vie continue, est-ce alors si grave ? Horizon balaie cette
naïveté : il suffit de robots impossibles à pirater, capables de se
répliquer et de s’alimenter en consommant la biomasse, pour effacer toute vie
sur Terre.
Horizon déconstruit aussi notre rapport
à la violence. Là où une multitude de jeux banalise le meurtre, celui-ci est
toujours marginalisé dans Horizon. Tout d’abord car on traque plus souvent des
machines que des humains. Ensuite parce que ces machines sont soit d’une telle
dangerosité qu’on les chasse par nécessité plus que par plaisir, soit tellement
animales qu’on ne veut pas les chasser du tout. Combien de fois ai-je esquivé
un troupeau de machines simplement pour les laisser brouter tranquillement ?
Enfin parce que ce plaisir du meurtre est explicitement adressé au travers du
personnage de Nil, qui en est l’incarnation, avec deux messages clairs :
son comportement est immoral, et son esprit torturé.
Si on parle du nouvel imaginaire qu’Horizon
tente de construire, on se doit finalement d’évoquer son intention féministe. Le
jeu débute dans une société matriarcale, dirigée par des chamanes, menée au
combat par une générale illustre, vénérant une déesse. Les femmes y sont respectées
pour leurs compétences, la figure de la Mère est sacralisée. Les femmes ne sont
aucunement sexualisées, alors que de nombreux jeux tombent dans la facilité d’une
héroïne en tenue moulante ou exhibitionniste. On y rencontre également des
hommes qui pleurent, qui ont peur, qui demandent de l’aide à une femme. On y
rencontre des femmes qui doivent se battre pour leur place dans ce monde, et
qui y parviennent.
En somme, Horizon Zero Dawn est
le type de jeu qu’on voudrait donner à jouer à tou·te·s les adolescent·e·s pour
les inspirer si on aspire à un monde meilleur.
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