Idéologies et émotions
24 mai 2021
Dans un précédent article, on a identifié cinq idéologies principalement représentées politiquement en France au 21ème siècle, dont trois majeures :
- Le progressisme, qui place avant tout l’amélioration des conditions de vie collectives
- Le libéralisme, qui place avant tout la réduction des contraintes imposées aux individus
- Le nationalisme, qui place avant tout la promotion d’une identité nationale stable
Et deux mineures :
- Le conservatisme, qui place avant tout la conservation de traditions
- L’anticapitalisme, qui place avant tout le rejet de la marchandisation des rapports sociaux.
D’autres part on apprend de la
psychologie cognitive que nos comportements et perceptions sont influencées par
notre sensibilité – variable selon les individus – à diverses émotions. Le concept
d’émotion est loin d’avoir une définition univoque, et plusieurs psychologues
ont tenté d’identifier un petit nombre d’émotions primaires, dont toutes les
autres ne seraient que des combinaisons (1). Les six plus
communément admises sont celles définies par Paul Ekman : la
tristesse, la joie, la peur, la colère, la surprise et le dégoût.
Nous allons maintenant supposer
que les idéologies sont caractérisées – entre autres – par une emphase sur
certaines de ces émotions primaires. L’adhésion à une idéologie serait donc
influencée par notre sensibilité aux émotions véhiculées par cette idéologie.
Dans la suite, nous considèrerons les émotions d’Ekman à l’exception de la
surprise, dont l’effet est par définition très court, et ne semble donc pas
pouvoir influencer l’adhésion à une idéologie, qui est un processus long. Une
étude récente de l’Institut de Neurosciences et Psychologie de l’Université de
Glasgow semble d’ailleurs indiquer que la surprise et la peur partagent les
mêmes signaux comportementaux (2).
Certaines associations entre
idéologies et émotions semblent triviales : le nationalisme est l’expression
d’un rejet de l’autre, qui peut s’apparenter à de la peur ; la colère est
l’émotion caractéristique de la lutte et de la réaction à l’injustice, qui s’apparente
au socialisme, idéologie commune à l’anticapitalisme et au progressisme. On
pourrait indubitablement retrouver des traces de toutes les émotions dans
toutes les idéologies, on se contentera ici de chercher celles prépondérantes.
Le résultat sera nécessairement caricatural, et précisons-le, le fruit d’une intuition
et non d’une démarche scientifique.
La synthèse de cette réflexion,
que nous détaillons par la suite, est représentée sur le schéma ci-dessous.
Elle est à considérer comme un point de départ et non d’arrivée, qui devrait nécessairement
être critiquée par des autorités plus compétentes.
Expliquons maintenant ces intuitions
d’associations. Comme évoqué précédemment, la colère semble
prépondérante dans les idéologies de luttes sociales, de remise en question de l’ordre
établi. C’est l’émotion des révolutions et revendications. On l’associe donc à
l’anticapitalisme (colère contre l’injustice) et au progressisme (colère contre
la fatalité). La peur est quant à elle prépondérante dans les idéologies
sécuritaires, de protection de l’ordre établi. On l’associe donc au conservatisme
(peur du changement et de l’instabilité) et au nationalisme (peur de la
différence et du remplacement).
Un point commun entre
progressisme et libéralisme est l’optimiste, l’enthousiasme, la quête d’un
monde meilleur. On reconnait ici l’émotion de joie. A l’inverse, les
extrêmes gauche et droite ont pour terreau le fatalisme, la précarité, le désespoir
d’un avenir bouché. On reconnait ici l’émotion de tristesse. Il reste le
dégoût, moins facile à cerner. Comme toutes les émotions primaires, il s’agit
d’un mécanisme de survie, servant pour sa part à nous protéger de l’anormal, du
sale, du difforme, que notre cerveau a appris à considérer comme des menaces
même si elles ne provoquent pas de peur. C’est l’émotion qui nous protège de l’empoisonnement
physique ou social. On devine alors ce que lui doivent l’élitisme, la croyance
en une contagion de l’échec, et dans sa version extrême, le mépris de classes.
C’est l’émotion qui pousse à rechercher un environnement sain, par la réussite
individuelle, l’intégration sociale et l’absence d’entraves. De fait, elle est
prépondérante dans le libéralisme (dégoût de la dépendance) et le conservatisme
(dégoût du trouble).
Maintenant, à quoi sert cet exercice ?
De toute évidence, notre sensibilité aux émotions ne joue pas autant sur notre
adhésion à une idéologie que notre sensibilité aux valeurs. Une personne
sensible à la peur et la tristesse peut parfaitement exécrer le nationalisme. La
leçon est peut-être plus subtile : elle invite à se méfier de l’adhésion à
une idéologie sans en partager les valeurs. Dans ce cas, il peut être judicieux
de questionner ses biais émotionnels.
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