Synthèse de lecture de Au commencement était...
Je vous propose ici sept pages de synthèse des idées qui m'ont le plus marquées dans ma lecture du livre Au commencement était… - Une nouvelle histoire de l'humanité, de l'anthropologue David Graeber et l'archéologue David Wengrow, publié en 2021. Je vous conseille évidemment la lecture du livre entier (que je peux vous prêter), mais je peux comprendre que ses 662 pages puissent en refroidir certains. Ma sélection est évidemment subjective, mais j'espère qu'elle suffira à vous conduire à la même conclusion qu'eux :
« Désormais, nous y voyons plus clair quand nous tombons sur des études qui, rigoureuses sous tous les autres aspects, sont bâties sur une série de postulats qu'elles ne questionnent pas - le postulat d'une société humaine "originelle", fondamentalement bonne ou fondamentalement mauvaise ; le postulat d'un temps "d'avant" les inégalités et la conscience politique ; le postulat d'un évènement historique majeur qui serait venu tout bouleverser ; le postulat de l'incompatibilité de la "civilisation" et de la "complexité" avec les libertés humaines ; le postulat d'une démocratie participative naturelle dans les petits groupes, mais ingérable à l'échelle d'une ville ou d'un Etat-nation... Nous y voyons plus clair, parce que nous savons maintenant que nous sommes face à des mythes. »
La notion d’égalité n’existe pas avant les questions de droit
naturel suite à la "découverte" de l’Amérique.
Il existe de nombreux exemples d’échanges d’objets non commerciaux
: rêves ou quêtes de vision, guérisseurs et comédiens itinérants, addiction
féminine au jeu.
Les colons européens des Amériques n’ont commencé à se penser
comme américains qu’en adoptant des idées indigènes comme l’attitude
conciliante envers les enfants ou l’autogouvernance.
Au cours du 18ème et 19ème siècle, l'idée
qu’un gouvernement souverain doit administrer une population partageant une
même langue et culture en s’appuyant sur une bureaucratie de lettrés passant
des concours est issue du système chinois.
Le communisme indigène assure qu’aucun individu ne soit subordonné
à un autre, et protège donc la liberté individuelle.
L’idée que les progrès technologiques et l’esprit d’initiative -
même s’ils sont causes de nouvelles inégalités - sont les moteurs des grandes
améliorations sociales apparait en réaction aux critiques indigènes.
« Rousseau soulevait ici la question même qui rendait
perplexes tant d’Amérindiens : comment les Européens font-ils pour
convertir la richesse en pouvoir ? Comment expliquer qu’une distribution
inégalitaire des biens matériels – situation que connaissent toutes les
sociétés à un degré ou un autre – autorise à donner des ordres à ses semblables,
à les employer comme domestiques, ouvriers, grenadiers, ou même à se moquer
comme d’une guigne qu’ils vivent et crèvent dans la rue ? »
« Les Wendats cherchaient délibérément à éviter les écarts de
richesse parce qu’ils n’avaient aucune envie de mettre en place un système
juridique coercitif. »
Les inégalités auraient toujours existé car le rapport de
domination/soumission est inné, mais l’espèce humaine est la seule à avoir
développé des tactiques pour s’en libérer (dérision, humiliation, etc).
Des sépultures somptueuses du Paléolithique semblent révéler des
hiérarchies sociales.
Des structures sociales des premières sociétés humaines variaient
selon les saisons.
En plus d’être bien traités et respectés, les individus très
atypiques jouaient aussi un rôle politique important au Paléolithique.
Certaines organisations sociales étaient bien plus étendues que
des États avant l’émergence de ceux-ci.
Certains peuples rejettent l’idée d’une économie de rendement
différé afin d’éviter les dépendances entre individus.
« Les citoyens américains peuvent voyager où bon leur semble
– à condition d’avoir les ressources nécessaires pour payer le transport et
l’hébergement. Ils n’ont pas à obéir aux ordres arbitraires d’un supérieur
quelconque – sauf s’ils occupent un emploi salarié. On pourrait presque dire
que, si les Wendats avaient de faux chefs, mais de vraies libertés, beaucoup
d’entre doivent aujourd’hui se contenter de vrais chefs et de fausses libertés.
Pour l’exprimer de façon plus théorique, les Hadzas, les Wendats et d’autres
peuples « égalitaires » comme les Nuers semblaient accorder bien plus
d’importance aux libertés réelles qu’aux libertés de pure forme.
Le droit de voyager les intéressait moins que la possibilité concrète
de le faire (c’est pourquoi la question se posait généralement en termes de
devoir d’hospitalité à l’égard des étrangers). L’entraide, que les observateurs
européens d’alors appelaient souvent "communisme", passait pour la
condition sine qua non de l’autonomie individuelle. Le fait que des
hiérarchis explicites puissent apparaitre tout en restant largement factices ou
limitées à certains aspects très spécifiques de la vie sociale peut contribuer
à expliquer l’apparente confusion autour du terme "égalitarisme". »
Il a existé des sociétés de pêcheurs-chasseurs-cueilleurs avec des
organisations sociales complexes.
Dans certains peuples, la notion de propriété privée se limite au
domaine sacré.
Puisque les voyages sur de grandes distances étaient courants, les
distinctions culturelles s’expliquent plus par des "refus d’emprunts"
que par l’ignorance des spécificités d’autres peuples.
« Comme on le comprend grâce à ces exemples [d’esclavage
indigène], c’est dans cette direction qu’il nous faut regarder pour trouver les
germes de la domination tyrannique au sein des sociétés humaines. Les simples
actes de violence sont passagers ; les actes violents qui se muent en relations
de soin ont tendance à se perpétuer. »
« Ce n’est donc pas l’environnement qui explique la
prévalence de l’esclavage sur la côte nord-ouest. C’est le principe de liberté.
Empêtrés dans leurs rivalités internes, les aristocrates n’avaient aucun moyen
de forcer leurs sujets à trimer pour leur permettre de poursuivre leurs
démonstrations de magnificence. Il leur fallait trouver des travailleurs
dociles ailleurs. »
Çatal Höyük en Anatolie centrale (Turquie), peuplé de -7400 à
-6000, a des allures de ville (5000 habitations) mais sans centre ou trace de
pouvoir centralisé, équipements collectifs ou rues. L’alimentation repose sur
l’agriculture mais la vie culturelle reste tournée vers la chasse et la
cueillette. Les maisons y sont reconstruites quasiment à l’identique, et les
plus illustres - mêlées aux autres - contiennent simplement une abondance de
trophées.
L’agriculture néolithique est apparue sous la forme de
spécialisations disséminées, sans épicentre.
Les prémices de l’agriculture (par exemple celle de décrue)
nécessitaient peu d’efforts (et ne permettaient pas de propriété privée),
certaines sociétés ne l’ont donc délibérément pas pratiquée plus intensément.
Les connaissances néolithiques sur les applications alimentaires,
médicales, artistiques et pratiques des plantes sont souvent associées aux
femmes.
Il existe de multiples exemples de gestion des terres par
redistribution périodique à but égalitaire et/ou de manière communale.
Il a existé au moins une quinzaine de centres indépendants de
domestication des plantes et animaux, qui ont suivi des trajectoires sociales
très différentes.
Pour un individu, une société de grande échelle est avant tout une
représentation mentale, de même qu'une ville.
Certaines
villes sont apparues avant l'agriculture intensive et sans organisations
sociales très hiérarchiques, par exemple dans des lieux très riches comme les
deltas, formés par des changements climatiques de l'Holocène.
Certains villages basques étaient construits en cercle afin
d'assurer une égalité entre les familles, et une répartition tournante des
tâches sans administration centrale. Certains mégasites préhistoriques en
Ukraine ont la même configuration.
Le principe de corvée (participation tournante de tous les
citoyens à des tâches collectives) semble précéder la monarchie en Mésopotamie.
Certains souverains mésopotamiens annulaient périodiquement toutes
les dettes de leurs sujets.
La plupart des cités du Proche-Orient avaient une assemblée
populaire ou un équivalent pour représenter les intérêts des citoyens, voire
administrer la cité, parfois en toute indépendance du souverain.
Des temples-usines de Mésopotamie produisaient de grandes
quantités de produits standardisés et emballés de manière homogène.
Des sociétés héroïques (aristocratiques, guerrières, avec peu ou
pas d'administration ou de commerce) semblent être apparues en réaction à
l'organisation égalitaire des villes.
Le système du seka sur l'île de Bali montre qu'il est possible de
combiner une hiérarchie sociale rigide et une gouvernance locale égalitaire.
« Autant les mégasites ukrainiens que la ville mésopotamienne
d'Uruk ou la vallée de l'Indus nous ont prouvé que des implantations humaines
ordonnées pouvaient connaître des extensions spectaculaires sans entraîner une
concentration de richesses ou de pouvoir entre les mains d'une élite
dirigeante. »
La grande cité mésoaméricaine de Teotihuacan était organisé
suivant des principes égalitaires, sans chef. Vers 300, des complexes
résidentiels de grande qualité ont été construits pour loger tous les
habitants.
La ville de Tlaxcala (adversaire de l'empire Aztèque à laquelle
Cortès s'est allié) était une démocratie, dans laquelle tout aspirant
politicien était soumis à une série d'épreuves (injure publique, isolement,
jeûne, etc).
On peut identifier 3 formes de libertés fondamentales : quitter
les siens, désobéir aux ordres, reconfigurer sa réalité sociale.
On peut identifier 3 fondements du pouvoir social : le contrôle de
la violence (souveraineté), le contrôle de l'information (bureaucratie), le
charisme individuel (arène politique concurrentielle).
Il existe des exemples de sociétés organisées autour d'une seule
forme de domination, sans pouvoir les qualifier d'Etats : Chavín de Huántar
avec son savoir ésotérique, les Olmèques avec le jeu de balle, la royauté
divine des Natchez.
« La souveraineté se présente toujours comme une rupture
symbolique avec l'ordre moral. »
Des traces de bureaucratie (jetons d'identification archivés)
apparaissent dès -6200 dans de petits villages de Mésopotamie.
Dans les Andes avant l'empire Inca, les ayllus étaient des
administrations locales, qui répartissaient équitablement les terres, la main
d'œuvre valide, recensaient tous les services rendus pour équilibrer les dettes
d'unités de travail, à l'aide de khipus, des instruments à cordelettes.
Des empires s'appropriant et centralisant des bureaucraties
recensant les dettes de travail conduisent à de l'asservissement.
La Crète minoenne semble avoir été dirigée par des femmes prêtresses.
Elle a vécu en paix avec un art dépourvu de scènes guerrières et valorisant
plutôt l’amour et l’érotisme au travers d’un regard féminin.
On
a surtout identifié comme civilisations des sociétés monumentales, qui
s'avèrent extrêmement stratifiées, autoritaires, violentes et patriarcales,
sacrifiant les trois libertés fondamentales et la vie même. On sait maintenant
que d'autres civilisations plus discrètes les ont précédées : des aires
culturelles riches de partages et de connaissances issues d'activités
féminines.
« La
période qui s'étend de -3000 à 1600, assez épouvantable pour la plupart des
paysans du monde, fut un véritable âge d'or pour les barbares. Ils profitaient
à plein de leur proximité avec les États et les empires dynastiques - réserve
inépuisable de biens précieux à piller -, tout en vivant pour leur part des
existences relativement aisées. »
L'Amérique
précolombienne est le seul espace de la planète où les humains ont évolué sans
influence d'autres continents. Sur l'île de la tortue (Amérique du Nord), ils
sont organisés en clans d'animaux-totems solidaires d'un bout à l'autre du
continent. Bien qu'en en étant de toute évidence capables, ils n'ont pas
développé de villes ou villages permanents, d'agriculture intensive,
d'organisation hiérarchique fixe ou bureaucratie. Les communautés de la sphère
d'interaction hopewellienne (région de l'Ohio entre -100 et 500) construisaient
des ouvrages de terre monumentaux à but rituel, ne faisaient presque pas la
guerre, s'affrontant plutôt lors de concours visant à circoncire les
distinctions sociales au spectacle.
« Les
théories indigènes sur la liberté individuelle, l'entraide ou l'égalité
politique, qui firent si forte impression sur les penseurs des Lumières
françaises, décrivaient des comportements humains qui ne relevaient ni d'un
quelconque état de nature, ni d'une situation culturelle propre à cette partie
du monde. »
Le
mythe fondateur de la Ligue des Cinq Nations iroquoise décrit un héros
pacificateur qui parvient à convaincre chaque nation d'instaurer une structure
pour prévenir les querelles et rétablir la paix.
« Les
Wendats sont les grands gagnants du débat. Nul être humain aujourd'hui, où
qu'il soit dans le monde et quelles que soient ses convictions par ailleurs, ne
peut se dire opposé au principe même de la liberté humaine, comme l'étaient les
jésuites du XVIIe siècle. »
La
sphère du jeu rituel est très souvent un terrain d'expérimentation sociale,
voire d'encyclopédie des possibilités sociales.
« Bien
des libertés que nous tenons pour essentielles - comme la liberté d'expression
- ne sont en rien des libertés sociales. Vous aurez beau être libre de dire
tout ce qui vous chante, cela ne compte pas vraiment si personne ne vous
écoute. »
Une origine possible du patriarcat serait l'accroissement du pouvoir des hommes au sein du foyer à mesure qu'ils accueillaient des prisonniers de guerre, la violence externe étant largement de leur fait.
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