mardi 9 août 2022

 Synthèse de lecture de Au commencement était...

Je vous propose ici sept pages de synthèse des idées qui m'ont le plus marquées dans ma lecture du livre Au commencement était… - Une nouvelle histoire de l'humanité, de l'anthropologue David Graeber et l'archéologue David Wengrow, publié en 2021. Je vous conseille évidemment la lecture du livre entier (que je peux vous prêter), mais je peux comprendre que ses 662 pages puissent en refroidir certains. Ma sélection est évidemment subjective, mais j'espère qu'elle suffira à vous conduire à la même conclusion qu'eux : 

« Désormais, nous y voyons plus clair quand nous tombons sur des études qui, rigoureuses sous tous les autres aspects, sont bâties sur une série de postulats qu'elles ne questionnent pas - le postulat d'une société humaine "originelle", fondamentalement bonne ou fondamentalement mauvaise ; le postulat d'un temps "d'avant" les inégalités et la conscience politique ; le postulat d'un évènement historique majeur qui serait venu tout bouleverser ; le postulat de l'incompatibilité de la "civilisation" et de la "complexité" avec les libertés humaines ; le postulat d'une démocratie participative naturelle dans les petits groupes, mais ingérable à l'échelle d'une ville ou d'un Etat-nation... Nous y voyons plus clair, parce que nous savons maintenant que nous sommes face à des mythes. »



La notion d’égalité n’existe pas avant les questions de droit naturel suite à la "découverte" de l’Amérique.

 

Il existe de nombreux exemples d’échanges d’objets non commerciaux : rêves ou quêtes de vision, guérisseurs et comédiens itinérants, addiction féminine au jeu.

 

Les colons européens des Amériques n’ont commencé à se penser comme américains qu’en adoptant des idées indigènes comme l’attitude conciliante envers les enfants ou l’autogouvernance.

 

Au cours du 18ème et 19ème siècle, l'idée qu’un gouvernement souverain doit administrer une population partageant une même langue et culture en s’appuyant sur une bureaucratie de lettrés passant des concours est issue du système chinois.

 

Le communisme indigène assure qu’aucun individu ne soit subordonné à un autre, et protège donc la liberté individuelle.

 

L’idée que les progrès technologiques et l’esprit d’initiative - même s’ils sont causes de nouvelles inégalités - sont les moteurs des grandes améliorations sociales apparait en réaction aux critiques indigènes.

 

« Rousseau soulevait ici la question même qui rendait perplexes tant d’Amérindiens : comment les Européens font-ils pour convertir la richesse en pouvoir ? Comment expliquer qu’une distribution inégalitaire des biens matériels – situation que connaissent toutes les sociétés à un degré ou un autre – autorise à donner des ordres à ses semblables, à les employer comme domestiques, ouvriers, grenadiers, ou même à se moquer comme d’une guigne qu’ils vivent et crèvent dans la rue ? »

 

« Les Wendats cherchaient délibérément à éviter les écarts de richesse parce qu’ils n’avaient aucune envie de mettre en place un système juridique coercitif. »

 

Les inégalités auraient toujours existé car le rapport de domination/soumission est inné, mais l’espèce humaine est la seule à avoir développé des tactiques pour s’en libérer (dérision, humiliation, etc).

 

Des sépultures somptueuses du Paléolithique semblent révéler des hiérarchies sociales.

 

Des structures sociales des premières sociétés humaines variaient selon les saisons.

 

En plus d’être bien traités et respectés, les individus très atypiques jouaient aussi un rôle politique important au Paléolithique.

 

Certaines organisations sociales étaient bien plus étendues que des États avant l’émergence de ceux-ci.

 

Certains peuples rejettent l’idée d’une économie de rendement différé afin d’éviter les dépendances entre individus.

 

« Les citoyens américains peuvent voyager où bon leur semble – à condition d’avoir les ressources nécessaires pour payer le transport et l’hébergement. Ils n’ont pas à obéir aux ordres arbitraires d’un supérieur quelconque – sauf s’ils occupent un emploi salarié. On pourrait presque dire que, si les Wendats avaient de faux chefs, mais de vraies libertés, beaucoup d’entre doivent aujourd’hui se contenter de vrais chefs et de fausses libertés. Pour l’exprimer de façon plus théorique, les Hadzas, les Wendats et d’autres peuples « égalitaires » comme les Nuers semblaient accorder bien plus d’importance aux libertés réelles qu’aux libertés de pure forme. Le droit de voyager les intéressait moins que la possibilité concrète de le faire (c’est pourquoi la question se posait généralement en termes de devoir d’hospitalité à l’égard des étrangers). L’entraide, que les observateurs européens d’alors appelaient souvent "communisme", passait pour la condition sine qua non de l’autonomie individuelle. Le fait que des hiérarchis explicites puissent apparaitre tout en restant largement factices ou limitées à certains aspects très spécifiques de la vie sociale peut contribuer à expliquer l’apparente confusion autour du terme "égalitarisme". »

 

Il a existé des sociétés de pêcheurs-chasseurs-cueilleurs avec des organisations sociales complexes.

 

Dans certains peuples, la notion de propriété privée se limite au domaine sacré.

 

Puisque les voyages sur de grandes distances étaient courants, les distinctions culturelles s’expliquent plus par des "refus d’emprunts" que par l’ignorance des spécificités d’autres peuples.

 

« Comme on le comprend grâce à ces exemples [d’esclavage indigène], c’est dans cette direction qu’il nous faut regarder pour trouver les germes de la domination tyrannique au sein des sociétés humaines. Les simples actes de violence sont passagers ; les actes violents qui se muent en relations de soin ont tendance à se perpétuer. »

 

« Ce n’est donc pas l’environnement qui explique la prévalence de l’esclavage sur la côte nord-ouest. C’est le principe de liberté. Empêtrés dans leurs rivalités internes, les aristocrates n’avaient aucun moyen de forcer leurs sujets à trimer pour leur permettre de poursuivre leurs démonstrations de magnificence. Il leur fallait trouver des travailleurs dociles ailleurs. »

 

Çatal Höyük en Anatolie centrale (Turquie), peuplé de -7400 à -6000, a des allures de ville (5000 habitations) mais sans centre ou trace de pouvoir centralisé, équipements collectifs ou rues. L’alimentation repose sur l’agriculture mais la vie culturelle reste tournée vers la chasse et la cueillette. Les maisons y sont reconstruites quasiment à l’identique, et les plus illustres - mêlées aux autres - contiennent simplement une abondance de trophées.

 

L’agriculture néolithique est apparue sous la forme de spécialisations disséminées, sans épicentre.

 

Les prémices de l’agriculture (par exemple celle de décrue) nécessitaient peu d’efforts (et ne permettaient pas de propriété privée), certaines sociétés ne l’ont donc délibérément pas pratiquée plus intensément.

 

Les connaissances néolithiques sur les applications alimentaires, médicales, artistiques et pratiques des plantes sont souvent associées aux femmes.

 


Il existe de multiples exemples de gestion des terres par redistribution périodique à but égalitaire et/ou de manière communale.

 

Il a existé au moins une quinzaine de centres indépendants de domestication des plantes et animaux, qui ont suivi des trajectoires sociales très différentes.

 

Pour un individu, une société de grande échelle est avant tout une représentation mentale, de même qu'une ville.

 

Certaines villes sont apparues avant l'agriculture intensive et sans organisations sociales très hiérarchiques, par exemple dans des lieux très riches comme les deltas, formés par des changements climatiques de l'Holocène.

Certains villages basques étaient construits en cercle afin d'assurer une égalité entre les familles, et une répartition tournante des tâches sans administration centrale. Certains mégasites préhistoriques en Ukraine ont la même configuration.

 

Le principe de corvée (participation tournante de tous les citoyens à des tâches collectives) semble précéder la monarchie en Mésopotamie.

 

Certains souverains mésopotamiens annulaient périodiquement toutes les dettes de leurs sujets.

 

La plupart des cités du Proche-Orient avaient une assemblée populaire ou un équivalent pour représenter les intérêts des citoyens, voire administrer la cité, parfois en toute indépendance du souverain.

 

Des temples-usines de Mésopotamie produisaient de grandes quantités de produits standardisés et emballés de manière homogène.

 

Des sociétés héroïques (aristocratiques, guerrières, avec peu ou pas d'administration ou de commerce) semblent être apparues en réaction à l'organisation égalitaire des villes.

 

Le système du seka sur l'île de Bali montre qu'il est possible de combiner une hiérarchie sociale rigide et une gouvernance locale égalitaire.

 

« Autant les mégasites ukrainiens que la ville mésopotamienne d'Uruk ou la vallée de l'Indus nous ont prouvé que des implantations humaines ordonnées pouvaient connaître des extensions spectaculaires sans entraîner une concentration de richesses ou de pouvoir entre les mains d'une élite dirigeante. »

 

La grande cité mésoaméricaine de Teotihuacan était organisé suivant des principes égalitaires, sans chef. Vers 300, des complexes résidentiels de grande qualité ont été construits pour loger tous les habitants.

 

La ville de Tlaxcala (adversaire de l'empire Aztèque à laquelle Cortès s'est allié) était une démocratie, dans laquelle tout aspirant politicien était soumis à une série d'épreuves (injure publique, isolement, jeûne, etc).

 

On peut identifier 3 formes de libertés fondamentales : quitter les siens, désobéir aux ordres, reconfigurer sa réalité sociale.

 

On peut identifier 3 fondements du pouvoir social : le contrôle de la violence (souveraineté), le contrôle de l'information (bureaucratie), le charisme individuel (arène politique concurrentielle).

 


Il existe des exemples de sociétés organisées autour d'une seule forme de domination, sans pouvoir les qualifier d'Etats : Chavín de Huántar avec son savoir ésotérique, les Olmèques avec le jeu de balle, la royauté divine des Natchez.

 

« La souveraineté se présente toujours comme une rupture symbolique avec l'ordre moral. »

 

Des traces de bureaucratie (jetons d'identification archivés) apparaissent dès -6200 dans de petits villages de Mésopotamie.

 

Dans les Andes avant l'empire Inca, les ayllus étaient des administrations locales, qui répartissaient équitablement les terres, la main d'œuvre valide, recensaient tous les services rendus pour équilibrer les dettes d'unités de travail, à l'aide de khipus, des instruments à cordelettes.

 

Des empires s'appropriant et centralisant des bureaucraties recensant les dettes de travail conduisent à de l'asservissement.

 

La Crète minoenne semble avoir été dirigée par des femmes prêtresses. Elle a vécu en paix avec un art dépourvu de scènes guerrières et valorisant plutôt l’amour et l’érotisme au travers d’un regard féminin.

On a surtout identifié comme civilisations des sociétés monumentales, qui s'avèrent extrêmement stratifiées, autoritaires, violentes et patriarcales, sacrifiant les trois libertés fondamentales et la vie même. On sait maintenant que d'autres civilisations plus discrètes les ont précédées : des aires culturelles riches de partages et de connaissances issues d'activités féminines.

« La période qui s'étend de -3000 à 1600, assez épouvantable pour la plupart des paysans du monde, fut un véritable âge d'or pour les barbares. Ils profitaient à plein de leur proximité avec les États et les empires dynastiques - réserve inépuisable de biens précieux à piller -, tout en vivant pour leur part des existences relativement aisées. »

L'Amérique précolombienne est le seul espace de la planète où les humains ont évolué sans influence d'autres continents. Sur l'île de la tortue (Amérique du Nord), ils sont organisés en clans d'animaux-totems solidaires d'un bout à l'autre du continent. Bien qu'en en étant de toute évidence capables, ils n'ont pas développé de villes ou villages permanents, d'agriculture intensive, d'organisation hiérarchique fixe ou bureaucratie. Les communautés de la sphère d'interaction hopewellienne (région de l'Ohio entre -100 et 500) construisaient des ouvrages de terre monumentaux à but rituel, ne faisaient presque pas la guerre, s'affrontant plutôt lors de concours visant à circoncire les distinctions sociales au spectacle.

« Les théories indigènes sur la liberté individuelle, l'entraide ou l'égalité politique, qui firent si forte impression sur les penseurs des Lumières françaises, décrivaient des comportements humains qui ne relevaient ni d'un quelconque état de nature, ni d'une situation culturelle propre à cette partie du monde. »

Le mythe fondateur de la Ligue des Cinq Nations iroquoise décrit un héros pacificateur qui parvient à convaincre chaque nation d'instaurer une structure pour prévenir les querelles et rétablir la paix.

« Les Wendats sont les grands gagnants du débat. Nul être humain aujourd'hui, où qu'il soit dans le monde et quelles que soient ses convictions par ailleurs, ne peut se dire opposé au principe même de la liberté humaine, comme l'étaient les jésuites du XVIIe siècle. »

La sphère du jeu rituel est très souvent un terrain d'expérimentation sociale, voire d'encyclopédie des possibilités sociales.

« Bien des libertés que nous tenons pour essentielles - comme la liberté d'expression - ne sont en rien des libertés sociales. Vous aurez beau être libre de dire tout ce qui vous chante, cela ne compte pas vraiment si personne ne vous écoute. »

Une origine possible du patriarcat serait l'accroissement du pouvoir des hommes au sein du foyer à mesure qu'ils accueillaient des prisonniers de guerre, la violence externe étant largement de leur fait.

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