dimanche 11 décembre 2022

 J’ai enfin compris le 7 Wonders

11 décembre 2022


Depuis ma première partie de 7 Wonders en 2011 (un an après sa sortie, j’avais seize ans), il ne m’a jamais quitté. Plusieurs centaines de parties plus tard, je continue d’y jouer sur BoardGameArena, en famille, le midi avec des collègues. J’ai testé et je possède quasiment toutes les extensions de l’ancienne version : Leaders, Cities, Babel, Grands Projets, Armada, et même une extension non officielle créée par les joueurs : Ruines. Ces centaines d’heures de jeu n’ont pas réussi à me lasser, même si je ne gagnais pas plus souvent que les autres. C’est tout simplement un plaisir d’y jouer.

L’encre a coulé pour expliquer son succès : une mécanique de jeu fluide et rapide avec beaucoup de règles à assimiler mais une simplicité dans la réalisation, des cartes dessinées splendides, une très forte rejouabilité. Sa sortie a révolutionné le monde du jeu de société, il a reçu plus d’une trentaine de prix, s’est vendu en plusieurs millions d’exemplaires à travers le monde… Bref, c’est un excellent jeu.

Et puis j’ai commencé à jouer contre de très bons joueurs sur BGA, et à réaliser que je perdais systématiquement. Je n’étais pas forcément le dernier, mais presque jamais le premier. J’ai donc commencé à prêter attention au jeu des meilleurs joueurs, et j’ai fait quatre découvertes fondamentales, qui ont complètement bouleversé ma vision du jeu. Mon plaisir s’en est trouvé décuplé : le jeu est beaucoup moins mécanique que je l’imaginais, et le roleplay y a sa place.

La première découverte, c’est qu’au moins les deux tiers des points de victoires sont faits à l’Âge III. Les deux premiers servent principalement à préparer ce dernier. Avant, j’essayais toujours d’être sur le fil avec mes ressources : assez (au moins une de chaque), mais juste assez, car je me disais que chaque bâtiment de production en plus dans ma ville était une perte de points. Il arrivait régulièrement que je termine l’Âge I avec plus de bâtiments civils que de ressources. A la fin de l’Âge II, je pouvais avoir deux fois plus de points que les autres joueurs. Et j’étais ensuite largement rattrapé. Avant cela, j’avais déjà compris que le pire qui puisses arriver, c’est de défausser une carte pour des pièces, faute d’avoir les ressources pour en acheter une seule. Ce que je n’avais pas compris, c’est que mes ressources limitées me contraignaient à en acheter certaines plutôt que d’autres. Avec des ressources abondantes (chez vous ou chez vos voisins à condition d’avoir un commerce robuste), vous pouvez choisir entre toutes, éliminant une part conséquente du facteur chance, prenant sérieusement la destinée de votre cité en main. J’ai vu un très bon joueur remporter la partie avec cinq cartes valant directement des points, toutes de l’Âge III : quatre guildes et un bâtiment commercial (valorisant les ressources), le reste de sa cité étant composé de production de ressources, bâtiments militaires, et une merveille achevée.

La seconde découverte porte sur la guerre. C’est là que le roleplay devient intéressant : toute la science du monde, une culture florissante, des institutions rayonnantes, ne vous servirons à rien si une horde de guerriers déboule en furie dans votre cité sans défenses. Comme pour les ressources, en achetant des bâtiments militaires, on a l’impression de gâcher des points, surtout si le conflit escalade avec ses voisins, obligeant parfois pour égaliser à en construire plusieurs à l’Âge III, pourtant si critique. En réalité, elles ne sont pas perdues, car en faisant le choix du pacifisme, vous ne renoncez pas seulement à 24 points (18 positifs et 6 négatifs), soit la moitié d’une bonne partie, mais vous laissez vos adversaires en marquer autant sans effort. S’équiper militairement est toujours rentable : au mieux vous remportez des victoires faciles, au pire vous forcer vos voisins les plus belliqueux à escalader, réduisant leur propre rentabilité. Chercher à toujours les égaliser semble être une bonne stratégie, pour ne surtout pas prendre de retard et vous permettre de profiter d’une occasion de les défaire sur le champ de bataille. Une autre erreur était d’attendre la fin de l’Âge pour s’équiper, pour éviter d’être l’initiateur d’une escalade. C’est au contraire le risque de ne plus pouvoir en acheter quand vos adversaires auront commencé à s’armer.

La troisième découverte, c’est qu’il faut un peu de tout. J’avais tendance à me fixer une stratégie trop rigide : me spécialiser soit sur la science, soit sur les bâtiments civils. Les bâtiments scientifiques sont ceux qui s’y prêtent le plus, car ils permettent de nombreux chainages, et comme leurs bénéfices sont exponentiels, on a envie de tous les acheter sans exception, quitte à laisser filer de belles opportunités. Si vous avez déjà deux groupes de symboles différents et un symbole plus développé que les deux autres, et que vous doutez fort de réussir à compléter un troisième groupe, acheter un autre des symboles moins développés n’est peut-être pas le plus bénéfique. Il y a bien une configuration dans laquelle vos scientifiques sont tellement bien pourvus que tout le reste devient négligeable : si vous êtes le seul à jouer la science, et que vous arrivez à construire les trois symboles de l’Âge I. Votre niveau scientifique pourra alors devenir tellement hégémonique que vos citoyens en oublieront vos défaites militaires et l’absence d’institutions civiles. Mais soyons honnête, l’occasion se présentera rarement. Et même si vous commencez à jouer la science, autorisez-vous toujours la liberté d’arrêter, si les circonstances ne s’y prêtent plus. Une cité aux activités diversifiées est bien plus apte à profiter de chaque opportunité.

La quatrième découverte, c’est qu’en pensant longtemps qu’il s’agissait d’un jeu très solitaire, sans tellement d’interactions entre joueurs, je me trompais. C’est en prêtant attention à ces interactions qu’on améliore son jeu : anticiper les choix de constructions adverses, en particulier les ressources, consacrer à sa merveille des cartes précieuses aux autres cités, choisir ses propres ressources en fonction des besoins et dispositions commerciales de ses voisins (pour leur vendre ou au contraire pour les en priver), et bien sûr surveiller leur développement martial.

J’ai adoré jouer pendant onze ans à un jeu dont je comprends seulement aujourd’hui certaines subtilités et dynamiques fondamentales. Un nouveau monde de possibilités s’ouvre à moi, et je ne parle là que des parties sur BGA : il y a certainement tout autant à découvrir dans les extensions. Même sans gagner, c’est toujours un moment plaisant (à condition de ne pas être bloqué par une ressource manquante !), simplement par sa beauté et sa fluidité. Aujourd’hui, il le devient également par son roleplay : faire prospérer votre cité avec audace et pragmatisme, la défendre contre celles voisines ou les défaire glorieusement au combat, financer le développement exponentiel de la science, bâtir progressivement des institutions politiques, culturelles et religieuses remarquables, dynamiser le commerce intérieur et extérieur, voilà de quoi nous transporter au pied d’une des sept merveilles du monde antique !

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