jeudi 14 novembre 2024

Synthèse de lecture des Origines du Totalitarisme, de Hannah Arendt


Cet ouvrage majeur de la politologue la plus importante du 20ème siècle donne un éclairage indispensable sur les horreurs du totalitarisme. Ses enseignements résonnent malheureusement avec certaines actualités.

N'étant pas particulièrement instruit sur la période, cette lecture m'a apporté plusieurs grandes révélations sur les origines et la mise en oeuvre d'un tel régime. Elle permet de déceler des signes de tendances totalitaires dans certains pays contemporains, en premier lieu la Chine. Elle nous met aussi en garde contre le mépris des Constitutions et lois, ou encore les récits de "vérités alternatives" décomplexés (fake news).

Je ne prétend pas ici en faire un résumé, mais uniquement lister les leçons qui m'ont le plus marquées.


1. L'antisémitisme

A l'abolition des privilèges, les nobles sont restés riches mais ne contribuaient plus à l'intérêt commun, devenant des parasites.

Les Juifs riches ont financé les Nations après l'abolition de la monarchie, et sont de fait devenus proches du pouvoir sans l'incarner, occasionnant une méfiance quant à leur influence réelle.

L'Affaire Dreyfus est la désignation d'un bouc-émissaire dans une histoire de corruption, dans un contexte où l'armée et le clergé  s'opposent à la République, mais elle a cristallisé la haine des Juifs. 


2. L'impérialisme

L'impérialisme est une réponse politique à un besoin de ressources et marchés infinis pour le capital.

Le nationalisme s'incarne mieux à l'étranger loin des problèmes sociaux.

L'idée de supériorité d'une race allemande émane d'une croyance de l'aristocratie française de descendre des Francs alors que le peuple descendrait des Gaulois. Les allemands se persuadent d'une origine tribale commune et d'une personnalité innée.

En 1853, le Comte Arthur de Gobineau publie un Essai sur l'inégalité des races humaines, qui dépeint une chute des civilisations due à une dégénérescence de la race, au sang mêlé. 

Il existe une continuité logique du Darwinisme à l'Eugénisme, puis au Nazisme.

Les financiers ne tirent pas de profits de la production, l'exploitation ou l'échange de marchandises, mais de commissions.

L'impérialisme ne développe pas un pays comme le capitalisme, où les profits conduisent à des revendications égalitaires (ex : Canada et Australie). 

En Afrique du Sud, les travailleurs noirs deviennent de plus en plus conscients de leur propre humanité sous l'impact du travail régulier et de la vie urbaine. La société de race d'Afrique du Sud enseigna à la populace qu'il suffit de la violence pour qu'un groupe défavorisé puisse créer une classe encore plus basse.

Des deux principaux moyens politiques de domination impérialiste, la race fut découverte en Afrique du Sud et la bureaucratie en Algérie, en Égypte et en Inde.

La floraison des légendes historiques et politiques a connu une fin brutale avec la naissance du christianisme, qui apportait l'explication légendaire de la destinée humaine la plus puissante et la plus complète. Puis l'unité spirituelle a succombé sous la pluralité des nations. Le salut est devenu incertain, remplacé par les idéologies.

L'impérialisme créa un Grand Jeu de perpétuels objectifs ultérieurs qui rendit la bureaucratie et l'espionnage attrayants pour une élite.

Les nations sans colonies développèrent un annexionnisme continental (pangermanisme et panslavisme) fondé sur la race, sans soutien des capitalistes. Ces mouvements annexionnistes envient les Juifs qui semblent avoir réussi à constituer une nation indépendante des Etats. Ils s'inspirent de leur croyance d'être le peuple élu par Dieu.

A propos du nationalisme :

Les gouvernements bureaucratiques gouvernent par décrets au mépris de la loi.

"Si les partis avaient été les organes de l'organisation des intérêts de classe, les mouvements devinrent les incarnations des idéologies". Il suffisait d'adhérer au mouvement pour incarner des valeurs.

A propos du système électoral bi-partis (comme au Royaume-Uni) : 

Un mouvement fasciste s'identifie à l'Etat et utilise l'armée nationaliste, tandis qu'un mouvement totalitaire la subordonne et veut détruire l'Etat.

Face aux candidats de mouvements allemands en 1932, tous les partis traditionnels s'unissent derrière Hindenburg, symbole de l'Etat-nation et de l'armée, contre le communiste Thälmann et le nazi Hitler. Sa propagande s'adresse à ceux qui veulent le statu quo (une voix pour Thälmann est une voix pour Hitler) tandis que les communistes brandissent la menace de ce statu quo (une voix pour Hitler est une voix pour Hindenburg). Tous misaient sur la peur.

La montée de Hitler au pouvoir bouscule tous les partis européens : la droite française devient pacifiste et la gauche belliciste.

"Il suffirait d'un coup d'oeil à la carte démographique de l'Europe pour voir que le principe d'État-nation ne peut pas être introduit en Europe orientale" (par les traités de paix), Kurt Tramples, 1929

Le recours massif des Etats-nations à la dénaturalisation a créé des vagues d'apatrides et conduit à l'abolition du droit d'asile.

"Seule une humanité complètement organisée pouvait faire que la perte de patrie et de statut politique revienne à être expulsé de l'humanité entière."


3. Le totalitarisme

Les mouvements totalitaires visent à organiser des masses, et les régimes totalitaires semblent impossibles dans des pays à la population réduite. Ils ont besoin d'une masse atomisée, individualisée, destructurée. Staline dût déconstruire les soviets organisés par Lénine, liquider les classes, instaurer une méfiance envers tous (aussi bien proches que lointaines connaissances).

Contrairement aux classes, les masses ne sont pas unies par la conscience d'un intérêt commun. La littérature sur la psychologie de masse explique l'affinité entre démocratie et dictature.

Les mouvements totalitaires exigent une loyauté total de leurs membres. Cela nécessite de se débarrasser de tout programme concret, prévisible et discutable. Ils n'ont pas d'objectif politique atteignable. Leur finalité n'est pas le pouvoir de l'Etat ou d'un dictateur, mais "la domination permanente de chaque individu dans chaque sphère de sa vie".

La Première Guerre Mondiale a transformé les individus en masse - transnationale -, et inspiré aux intellectuels un désir d'authenticité, par opposition à une fausse culture, une fausse vie, l'hypocrisie humanitaire et libérale de la société.

Staline et Hitler parvenaient à faire soutenir leurs mensonges par les masses.

Le bourgeois utilise les institutions publiques à l'aune de ses intérêts privés. Selon la philosophie des libéraux, la somme des intérêts individuels aboutit au miracle du bien commun.

La nécessité de la propagande est dictée par le monde extérieur, les mouvements ont plutôt recourt à l'endoctrinement et la terreur.

Les dictateurs totalitaires annoncent des prédictions infaillibles, dont le déterminisme justifie leurs actions à venir. Ils révèlent des complots mystérieux qui procurent une cohérente à la réalité autrement chaotique.

Les membres d'un mouvement défait, contrairement aux fanatiques religieux, l'abandonnent comme un mauvais pari et se mettent en quête d'une nouvelle fiction prometteuse.

En terme d'organisation, le totalitarisme est original en distinguant les membres du parti, strictement limités, et les sympathisants à grossir constamment, au sein d'organisations de façade. Ces organisations brouillent à la fois la normalité perçue par les membres du parti et par le monde extérieur. Les membres sont aussi organisés en degrés de militantismes, de sorte que chacun est entouré d'une pseudo-normalité (membre < SA < SS < Waffen-SS). La composante paramilitaire de ces formations sert surtout à répliquer la société existante.

Un membre craint plus de quitter le mouvement (car il est devenu anormal, déraciné) que les conséquences de sa complicité dans des actions illégales.

La volonté du Chef est la loi du parti, et il endosse la responsabilité de tous les actes commis par les membres, si bien que le mouvement perdrait sa raison d'être sans lui, et qu'aucun membre n'est responsable de ses actes.

Les mouvements totalitaires s'inspirent beaucoup des sociétés secrètes. Le mensonge est admiré avec cynisme.

Le totalitarisme au pouvoir a besoin d'instabilité permanente, donc ni frontières fixes ni forme de pouvoir absolu.

Les Etats totalitaires ne se soucient pas de modifier la Constitution : ils n'en tiennent pas compte. Ils doublent le pouvoir apparent avec un pouvoir réel du parti, mais ne l'abolissent pas. Ils multiplient les services de même rôle pour qu'on ne sache jamais où réside le pouvoir, prévenant toute opposition.

A l'exception du Chef, aucun individu au sommet ne se distingue (pas de clique ou de successeur fixe)

Pour asseoir leur objectif de conquête mondiale, les régimes totalitaires considèrent leurs lois applicables partout, et traitent leur pays aussi durement que ceux conquis.

Pour le pouvoir totalitaire, l'organisation est plus importante que les richesses matérielles. Son idée principale est "l'ennemi objectif" qu'il accuse d'un "crime possible", et si un premier est éliminé, il en cible un nouveau.

La police secrète de gouvernements constitutionnels comme despotiques est un État dans l'Etat, capables de choisir ses propres cibles. La police totalitaire n'est qu'un exécutant. 

Toute la population se retrouve prise dans la psychologie de l'agent double : sa carrière repose sur la purge de la génération précédente, et peut s'interrompre brutalement à tout moment.

Le véritable secret des régimes totalitaires est les camps de concentration, laboratoires d'expérimentation de la domination totale.

A propos de l'adhésion au totalitarisme : 

La préparation de cadavres vivants nécessite de tuer la personne juridique, la personne morale (les nazis parviennent à rendre les victimes complices car désobéir cause aussi le meurtre de ses proches) et l'individualité (par la torture irrationnelle), donc la spontanéité qui aurait permis une résistance.

"Le totalitarisme ne tend pas vers un règne despotique sur les hommes, mais vers un système dans lequel les hommes sont superflus."

"La terreur est la légalité si la loi est la loi du mouvement d'une force surhumaine, la Nature ou l'Histoire."

La préparation qui rend chacun apte à jouer le rôle de bourreau comme de victime est l'idéologie, c'est-à-dire la logique d'une idée. L'idéologie traite l'enchaînement des événements comme s'il obeissait à la même "loi" que l'exposition logique de son "idée". Tout ce qui arrive, le seul mouvement possible, est alors conforme à la logique d'une seule "idée".

"Le sujet idéal de la domination totalitaire n'est ni le nazi convaincu ni le communisme convaincu, mais les gens pour qui la dinstinction entre fait et fiction (c'est-à-dire la réalité de l'expérience) et la distinction entre vrai et faux (c'est-à-dire les normes de la pensée) n'existent plus.

Le totalitarisme créé des personnes isolées (sans capacité d'agir politiquement) et désolées (sans relations humaines). L'isolement est commun aux tyrannies, mais la désolation est propre au totalitarisme.

Le totalitarisme est le résultat de la perte d'autorité dans les démocraties.


Réflexions sur la Révolution hongroise

La succession du leader est un problème irrésolu du totalitarisme.

Le totalitarisme soviétique doit démanteler tout groupe qui commence à montrer des signes d'identité et de solidarité de classe.

Les conseils sont une alternative plus démocratique aux partis, car ils viennent de la base et la représentativité repose sur la confiance dans des individus plutôt qu des idéologies.

La liberté réside dans les capacités humaines d'action et de pensée, et non de travailler et de gagner sa vie. Les activités économiques sont soumises à la nécessité. Les dictateurs totalitaires sont ainsi prêts à des concessions sur les systèmes économiques.

"Il n'y avait pas que Staline à se servir du communisme comme d'un prétexte à l'expansion de l'impérialisme russe." Radio-Rajk

"L'impérialisme aurait pu réussir si l'Etat-nation avait été disposé à en payer le prix, à adopter une conduite suicidaire et à se transformer en tyrannie. La Grande-Bretagne préféra liquider l'empire"

"Une politique impérialiste a bien plus de chances de réussir quand elle est menée par un gouvernement totalitaire"

Les pays d'Afrique et d'Asie ne redoutent pas l'impérialisme russe car il n'est pas raciste, contrairement aux empires qui les ont colonisés.

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