Renverser l’échiquier
L’écologie, nouveau « centre »
du spectre politique ?
La redéfinition du paysage politique
des cinq dernières années est fascinante : d’un triptyque « gauche, droite,
extrême-droite », on voit aujourd’hui se dessiner des nuances entre solidarité
et progressisme, entre libéralisme et conservatisme, entre des nationalismes
identitaire et social. Le chamboulement a véritablement commencé en 2017,
lorsque Macron – réussissant là où Bayrou avait échoué – prend la place de ce
qu’on appelait alors le « centre », entre progressisme sociétal et
libéralisme économique. Malgré qu’il ait depuis nettement privilégié le second,
son électorat est encore composé d’une majorité des clusters (tout mon article s’appuie
sur les résultats de Cluster17)
Progressistes et Sociaux-Démocrates, historiquement de gauche. Plus récemment,
Zemmour s’est engouffré dans la brèche ouverte par la dédiabolisation du
Rassemblement National, qui a délaissé les Identitaires, révélant que l’extrême-droite
agglomérait des systèmes d’opinions très variés, de classes populaires
subissant de plein fouet la mondialisation, à des classes moyennes surtout radicales
culturellement.
Maintenant que les cartes sont
rebattues, ce « centre » de compromis actuellement incarné par
Macron semble inamovible, puisqu’il s’oppose aux extrémités isolées du spectre
politique. Pourtant il n’est le centre que d’une ligne historique « gauche
/ droite », et les systèmes d’opinions sont loin d’être linéaires. Ce qu’il
incarne, c’est surtout une idéologie : celle du pouvoir privé se substituant
à celui public, qu’on peut nommer néolibéralisme. Or il se trouve que
cette idéologie est compatible à la fois avec une partie de la gauche et de
la droite, d’où le fait qu’en cheminant entre les deux, on la croit au
centre. Mais n’existerait-il pas d’autres chemins aussi conciliants avec
une majorité d’opinions, tout en étant moins injustes ? Un changement de
perspective s’impose.
Pour cela, j’ai représenté les 16 clusters identifiés par le laboratoire d’étude de l’opinion Cluster17 sur deux axes correspondant aux clivages « sociétal » et de « redistribution ». Avant d’aller plus loin, je précise que cet exercice est amateur, sans aucune légitimité professionnelle : je ne suis pas statisticien et je n’ai accès qu’à quelques graphiques et non les données brutes, je ne prétends donc à rien d’autre qu’à faire réfléchir à partir d’un dessin un peu parlant. En fonction des intentions de vote de chaque cluster, j’ai ensuite représenté les groupes communément admis de « gauche, centre, droite, extrême-droite ».
Avec cette nouvelle perspective qui n’a pourtant rien de révolutionnaire, on voit que le « centre » n’est plus vraiment au centre de quoi que ce soit, et occupe plutôt le quart libéral progressiste du graphique. Rien qu’avec les 15 clivages identifiés par Cluster17, on pourrait construire 104 autres graphiques comme celui-ci. Autant dire que la quête d’un centre conciliant est riche. Presque tous les clusters sont par exemple favorables au dégagisme et défavorables à la mondialisation. Cependant, cela ne suffit pas à construire un socle idéologique. Il y a un clivage en revanche qui touche à toutes les facettes de la société, du travail au divertissement, de la production à la consommation, de la santé à la religion : il s’agit bien entendu de l’écologie.
Instinctivement, on a tendance à
positionner l’écologie à « gauche », parce qu’elle promeut la protection
des plus fragiles, la modération de certaines libertés individuelles au profit
d’un bien commun, une remise en question de la place de l’espèce humaine au
sein du Vivant. Pourtant il suffit d’un contre-exemple pour comprendre que
ce n’est pas aussi simple : de nombreux conservateurs de confession chrétienne
adhèrent à la notion d’écologie intégrale défendue par le pape Benoît XVI. Sur
le graphique ci-dessus, j’ai entouré en vert les clusters favorables à l’écologie.
Si on en retrouve 5 des 7 dans le quart progressiste redistributif, assimilé à
la gauche, c’est également le cas des eurosceptiques et dans une certaine mesure
des anti-assistanats, tous deux plutôt assimilés à la droite ou l’extrême-droite.
A part les ultralibéraux, on pourrait même se demander quels systèmes d’opinions
sont incompatibles avec l’écologie.
Plus que les alertes incessantes
de la communauté scientifique, les conséquences désastreuses du réchauffement
climatique et de l’érosion de la biodiversité rendent les populations humaines
de plus en plus sensibles aux enjeux écologiques, et cette tendance va s’intensifier
avec les catastrophes des décennies à venir. Il est grand temps de comprendre
que la dévastation de la Vie elle-même sur Terre peut finir par rendre
caduque tout autre sujet. L’idéologie néolibérale qui nous gouverne depuis une
quarantaine d’années a fait suffisamment de mal aux citoyens défavorisés et au
Vivant dans son ensemble, ne serait-il pas temps de choisir un autre « centre » ?
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