samedi 25 juillet 2020

La fille au bracelet

2020 - Stéphane Demoustier


Plus qu’une histoire de procès, voici l’histoire d’une fille dont on a volé la joie de vivre. Après le meurtre d’une amie dont elle est accusée, elle vit deux années avec un bracelet électronique à la cheville, déjà condamnée à vivre recluse. Autour de ce drame, différents caractères se déploient, tous profondément humains, à l’exception d’elle, impassible. On découvre la souffrance et le soutien inconditionnel de son père, la difficile renonciation de sa mère, la candeur de son petit frère. Dans ce film rythmé à la perfection, on découvre la profondeur de son personnage au travers du regard des autres, les témoins. Ce qui est jugé, attaqué par la procureure, défendu par son avocate, c’est sa vie, plus que le crime qui serait sien. Sa vie libre, secrète, et dévoilée au grand jour. La vie d’une adolescente qui ne devrait pas avoir de comptes à rendre… A moins qu’elle l’ait fait ?


Scénario : Stéphane Demoustier, d'après les oeuvres de Gonzalo Tobal et Ulises Porra
Musique : Carla Pallone
Photographie : Sylvain Verdet

lundi 13 juillet 2020

Adults in the room

2019 - Costa-Gavras



Costa-Gravas est surtout connu pour ses films historiques et politiques, Adults in the room n’y fait pas exception. Alors que la Grèce subit depuis sept ans la politique d’austérité et la vente de ses infrastructures imposées par les pouvoirs économiques européens, le parti Syriza accède au pouvoir en s’engageant à se libérer de cette emprise. Le film est centré sur Yánis Varoufákis, ministre des finances après ces élections de 2015, et la tâche herculéenne qu’il entreprend pour renégocier les exigences de l’Eurogroupe. Présenté comme déterminé autant que raisonnable et prêt à des concessions (il est bon de souligner que le scénario est basé sur son roman, donc coloré par sa subjectivité), il se heurte à un mur obtus. Les faits mis en scène, plus que dramatiques, relèvent de la tragédie, tellement l’impuissance et la fatalité sont omniprésentes. L’Eurogroupe, conscient de sa position dominante (dans la mesure où la résolution extrême d’une sortie de l’UE n’est pas pour lui déplaire), en abuse avec une vulgarité révoltante. 

Loin d’être un traitement technique comme peut l’être The Big Short, la narration se focalise ici sur des considérations relevant du bon sens, balayées par une logique financière impitoyable qui parvient à choquer un personnage pourtant cynique. Si les causes de la crise des subprimes présentées par Adam McKay relèvent de la stupidité d’une logique de profit individuel à court-terme, la gestion de ses conséquences présentée par Costa-Gravas est rageante par sa lucidité : les décisions prisent ne peuvent qu’empirer la situation de la Grèce, mais c’est au profit de ces autres pays, qui n’ont alors aucune raison de seulement écouter le protagoniste.

La réalisation est sobre, et on pourrait la trouver répétitive si cela ne visait pas justement à insister sur le jeu de dupes qui est mené. Chaque espoir d’amélioration, qu’on finit par imaginer être distribués avec sadisme, est rapidement douché par la position inchangée de l’Eurogroupe. On s’attache au personnage par empathie, sens de la justice, et finalement pitié. L’ancrage dans le réel est d’autant plus marquant qu’on reconnait plusieurs figures politiques européennes jouées par des actrices/acteurs ressemblants. Enfin, la conclusion métaphorique invite à se renseigner sur l’actualité, pour comprendre qu’encore cinq ans plus tard, rien n’a changé.


Scénario : Costa-Gavras & Stéphane Osmont (d'après l'oeuvre de Yánis Varoufákis)
Musique : Alexandre Desplat
Photographie : Yorgos Arvanitis

lundi 22 juin 2020

Privation de libertés

22 juin 2020


Lors de sa campagne présidentielle, M. Macron a expliqué à une classe d’enfants comment se décline la devise française sur le spectre politique : la liberté à droite, l’égalité à la gauche, lui le héros qui unira les deux avec la fraternité en prime. S’il a égaré cette dernière dans le même grenier que le pavillon de l’Aquarius, et que l’égalité sonne bien jusqu’à ce qu’il faille la faire passer en fauteuil roulant par une porte qui a perdu son obligation d’accessibilité en 2018, parlons un peu de cette liberté dont raffole la droite politique.

C’est la rengaine des opposants à l’écologie : nous autres khmers verts prônons la privation de libertés, pour notre plus grand plaisir d’ailleurs. Après les nationales à 80 km/h, imaginez notre jouissance à la simple évocation de tous ces champions de la liberté se trainant à 110 sur l’autoroute. Une clarification s’impose : de quelle liberté parle-t-on ? Celle de conduire 20% plus vite. Dans ce cas, que dire de la privation de notre liberté à conduire sans permis, ou en état d’ébriété ? Qu’est devenu notre liberté de tuer, ou de réduire en esclavage ?

Nous avons jugé, à des moments clés de notre histoire, que certaines libertés avaient plus de valeurs que d’autres : celle de se déplacer en sécurité, ou de décider de son avenir. Nous vivons aujourd’hui un autre de ces moments clés : alors qu’il reste 4% de mammifères sauvages sur Terre, que le continent de plastique au milieu du Pacifique fait 3 fois la taille de la France, ou qu’il a fait 38°C en Sibérie hier, nous défendons la liberté du Vivant à continuer d’exister.

Pourtant, alors que le plus bel exercice démocratique qu’ait autorisé notre Vème République vient d’accoucher de 150 propositions relevant pour la plupart d’un bon sens rafraichissant tellement on n’y croyait plus, la droite se dresse à nouveau d’un réflexe archaïque : qu’on laisse leur confort climatisé tranquille, le problème est ailleurs, comme toujours. Dans les pays pauvres où la croissance démographique aura bientôt épuisé toutes les ressources (il faudrait multiplier par 10 la population africaine pour égaler la consommation électrique américaine), au Brésil où les forêts brûlent (volontairement pour faire place au soja qui nourrit notre tendre viande), ou en Chine avec ses centrales à charbon (tandis qu’on retrouve des centrales thermiques d’Engie jusqu’en Australie, et qu’EDF compte en ériger une nouvelle en Guyane).

Alors, vos libertés égoïstes, je les condamne. Vous voulez parler de liberté, voilà les miennes : dénoncer, manifester, désobéir. Nous sommes la nature qui se défend.


samedi 18 janvier 2020

The Clone Wars : a story of pacifism and powerful characters

January 2020





I need to take a moment to talk about this series, remarkable in many ways. First, because of the impressive diversity of its episodes: story arcs are focused on amazing characters, others speak of profound subjects such as democracy and corruption, peace or resistance, while some episodes simply picture dumb robots fooling around. You can easily skip the latter, and I'd like to focus here on the ones you should definitely watch, and the reasons why. 

First, have in mind that you're facing 5 seasons of 22 episodes each, and even though most of them are worth the 20 minutes they'll take you, I selected 29 of the highest quality, and 23 additional ones not to be missed either.

Update: the season 7 has since been released (according to me there's nothing worth watching in the S6), I add 4 episodes from it.

In many ways, The Clone Wars fixes the flaws of the Star Wars prequel trilogy, be it in the complexity of politics and moral values or of the characters build.

Democracy

These first 4 episodes will prove you how serious the show can get. The beauty of democracy when defending public service is mitigated by the limits it finds in pressure groups and the business of war.

Corruption (S3E05 + 06)
War bill (S3E10 + 11) : finance, security, public service and the senate

Pacifism and Resistance

The major theme of the series, and first hint that you're watching more than another kid show, is pacifism. The creators do not hide they value negotiation over conflict, which doesn't stop them from picturing the failures of diplomacy. Some of the greatest characters introduced in this show fight strongly against the pursuit of the Clone War opposing the Republic and the Separatists, while others defend above all their neutrality. On the other hand, the Onderon arc is dedicated to the necessity of resistance against oppression, and the delicate intervention of a foreign nation in supporting so called terrorists.

Defenders of Peace (S1E13 + 14) : non-violence
Trespass on Native land (S1E15) : militarism VS diplomacy
Ryloth (S1E20 + 21) : foreign occupation
Mandalore (S2E12 + 13 + 14) : political neutrality
Both sides (S3E10) : negotiation and the other point of view
Onderon (S5E02 + 03 + 04 + 05) : civil war

Character Build

You may not like much characters such as Anakin or Padmé in the SW movies, and love them here. But more importantly, some of the new characters are more interesting than any movie's ones: the young and wise Senator Chuchi, the unshakeable idealist Duchess Satine, the charismatic rebel Steela Gerrera and her hot-head brother Saw... Yet none can equal the main character of this 5-season show: Ahsoka Tano. Although she does not appear in every episode (and I selected below only the best), Anakin's Padawan is... Damn, go watch the show. And of course, you must have heard about the return of the badass, mastermind, Obiwan-obsessed Sith Darth Maul... 

Ahsoka Tano (S1E19 + S3E04 + S3E07 + S3E10 + S4E14 + S5E02 + 03 + 04 + 05 + S5E17 + 18 + 19 + 20 + S7E09 + 10 + 11 + 12)
Darth Maul (S4E22 + S5E01 + S5E14 + 15 + 16 + S7E09 + 10 + 11 + 12

Story Telling

Finally, the following episodes, while not being among my favorites, are must-see. 

Boba Fett (S2E20 + 21 + 22 + S4E20)
Asajj Ventress and the Night Sisters (S3E12 + 13 + 14 + S4E19 + 20 + 21 + 22)
Mortis (S3E15 + 16 + 17) : Gods of the Force
The Citadel (S3E18 + 19 + 20) : Jedi prison
General Krell (S4E7 + 8 + 9 + 10) : war crime
Jedi Younglings (S5E06 + 7 + 8 + 9)

Obviously this selection is personal: for instance I'm not very fond of bounty hunters, but you may really enjoy the multiple episodes picturing some. I love the pirate Hondo Ohnaka, and he appears in my selection, but know that there's a lot more about him. You may never see the General Grievous if you stick to my list, yet many episodes stage him.

Enjoy!

(the episodes in orange are the ones I already quoted in another catergory)

jeudi 2 janvier 2020

Les Misérables

2019 - Ladj Ly




Les misérables, ce ne sont pas seulement les habitants de Montfermeil et de tous les quartiers défavorisés de France, ce sont tout autant les policiers et toutes ces personnes poussées à des actes tragiques par un système qui les dépasse. Le film de Ladj Ly n’en est pas moins un réquisitoire contre les violences policières et sa propension à se protéger elle-même avant les citoyens. L’histoire chavire au moment où un des « bacqueux » abat à bout portant un enfant de la cité d’un tir de LBD, pris de panique alors que son équipe est submergée par une foule de jeunes en colère. Découvrant que la scène a été filmée, les agents de la BAC traquent cette pièce à conviction plutôt que conduire la victime inconsciente à l’hôpital.

A travers le regard de Stéphane, policier tout juste arrivé de Cherbourg, pétri de morale et ignorant de la réalité des banlieues, on assimile peu à peu la complexité de la situation. Face à des actes d’une extrême violence entre « civils », il finit lui aussi par mettre le doigt sur la gâchette. Il n’est pourtant qu’une victime de la perte totale de confiance des habitants envers son service. Une mère s’insurge : bien sûr que les enfants courent en voyant la police, quand la police les traite de la sorte. Une autre menace d’appeler la… police, quand des agents tentent de forcer l’entrée chez elle. Lorsqu’un jeune est en difficulté, il ne se tourne évidemment pas vers ces représentants de la loi censés le protéger, mais plutôt vers un prêcheur musulman du quartier. Lorsqu’on l’écoute, personnage le plus sage du récit, on ferait de même.

Cette perte de confiance, elle s’explique avec le personnage de Chris, chef de l’équipe, pervers raciste, caractériel et abusant constamment de son pouvoir. Elle s’explique surtout par la lucidité de la commissaire à son égard. C’est nécessaire, selon elle, quand on sait ce qu’on a en face. On ne se leurre pas, c’est une guerre qui est menée, avec l’équipement et le recrutement proportionnés.

Ce film est important, profondément social, et malheureusement autant d’actualité que criant de vérité.

“Mes amis, retenez ceci, il n'y a ni mauvaises herbes ni mauvais hommes. Il n'y a que de mauvais cultivateurs.”
Victor Hugo, Les Misérables

Scénario : Ladj Ly, Giordano Gederlini, Alexis Manenti
Musique : Pink Noise
Photographie : Julien Poupard

samedi 9 novembre 2019


Violence proportionnée

23 septembre 2019



Un sentiment de gâchis. Voilà ce que j’ai ressenti en quittant précipitamment la marche pour le climat du 21 septembre à Paris, après que les explosions et colonnes de fumées au milieu de la foule aient cristallisés en moi et ma compagne la même crainte que nous lisons dans les regards embués par les fumigènes autour de nous. Mon verdict est immédiat : notre mouvement pacifique, non-violent, a été parasité par ces casseurs de black blocs, dénaturant nos valeurs et brouillant notre message. Enervé, je voudrais les voir enfermés, ces jeunes anarchistes trop pleins de testostérone.

Une fois calmé, je ne peux plus me contenter de ce jugement émotionnel basé sur plus de préjugés que de faits, aussi je m’en vais lire ce que je peux trouver d’analyses sur le sujet. Et bien sûr, comme souvent, mon premier avis est à côté de la plaque. Tactiques de manifestations originaires de Berlin-Ouest, mouvances spontanées et déstructurées, convictions et solidarité, voilà de quoi sont faits les blacks blocs. Si la destruction matérielle est courante, les cibles sont spécifiques : l’Etat, le capital, la consommation. Et si la police est attaquée, c’est en réaction à sa propre violence croissante. Les black blocs sont habités par la certitude que la contestation du pouvoir traditionnelle a perdu de son efficacité. Qu’elle s’agence dans les cases du système. En réponse, ils se faufilent dans les failles, font éclater les statu quo.

Ainsi donc, qu’auraient-ils gâché samedi dernier ? Une nouvelle manifestation tranquille, à 20 milles plutôt que les 15 qui ont osé rester, que les 5 d’il y a 5 ans ? Je suis non-violent, je ne défendrai jamais leurs méthodes. Ce qui est sûr, c’est que les nôtres marchent mais ne fonctionnent pas mieux. Pour trouver la formule adaptée, il faut expérimenter. Malgré les médias qui divisent, nous avons les mêmes objectifs, les mêmes adversaires, seules nos méthodes divergent. Et nous n’avons pas plus le temps de décider de la sagesse des leurs que de décider s’il faut appeler les prédateurs sexuels des porcs. Le problème est autrement plus grand.

Pont de Sully, juin 2019 : Des militants bloquent, assis. Difficile d’imaginer plus inoffensifs, à moins de s’allonger sur le ventre. Légalement, la violence des interventions policières doit être proportionnée.   Et pourtant, après de rapides sommations, les forces de l’ordre les gazent en plein visage, parfois à moins de dix centimètres. La police ne durcit pas face à des individus extrémistes, bien au contraire. L’intensification de la répression est idéologique. Face à cela, la violence proportionnée est de notre côté : renvoyer des grenades fumigènes, charger ceux qui nous chargent.

Malheureusement, l’adversaire commun n’est pas derrière le masque et le bouclier. Il est derrière le micro et le bureau. L’adversaire est décideur, il est profit, il est contrôle. La hiérarchie ne communique que dans un sens : vers le bas. C’est donc vers le haut qu’il faut regarder.

dimanche 6 octobre 2019


De la convergence des luttes

6 octobre 2019



Sur le sujet de la convergence des luttes, l’occupation du 5 octobre est remarquable. Le centre commercial Italie 2 est pris d’assaut à l’ouverture par une horde de militantės, principalement écologistes sous la tutelle d’Extinction Rebellion. L’intrusion, dans le cadre initial de l’action, est non-violente : bloqueurės assiės dans les entrées le temps de faire entrer tout le monde, puis dégradations mineures pour bloquer les portes. Des médiatrices et médiateurs en chasubles orange rassurent les commerçantės, s’assurent que les participantės se sentent bien, et que le cadre de l’action est respecté. Entre autres organisations, des Gilets Jaunes font parti des équipes. De nombreusės camarades les rejoignent dans la journée. Une fois les entrées verrouillées et la frénésie de l’installation passée, des groupes s’organisent, discutent d’un premier ordre du jour commun, envoient unė ou deux représentantės à la première Assemblée Générale, pour décider de la suite de l’occupation.

La principale divergence entre les visions d’XR et des GJ s’annonce alors, sur la question de la violence. Pour XR, le cadre initial (pas de dégradations autres que celles nécessaires aux blocages, de propos haineux, d’alcool ou de drogue) est maintenu tant qu’une AG n’en décide pas autrement. Pour les GJ, ce cadre n’était valable que pour l’intrusion, et une AG pouvait au contraire décider de l’interdire ou non pour la suite. Sans décision claire, les deux réalités cohabitent, avec leur lot de tensions. Nombre d’écologistes quitte le lieu au cours de la journée, ne se reconnaissant pas dans les tags, surtout visant la police, les bières et les joints. Quant aux GJ, ils vivent l’intervention des Peace Keepers (tristement traduits par Gardiens de la Paix) à chaque appropriation de vitrine comme une répression policière, un service d’ordre défendant ses seules valeurs. La tension culmine lorsqu’un fachiste bien connu des GJ déclenche des envies de bagarres, tandis que d’autres s’emparent d’une lance à incendie pour accueillir les cordons de policierės qui s’organise autour du centre.

A force d’échanges entre gilets jaunes conciliantės et gilets orange diplomates, le calme revient, et nous sommes prêtės pour les tentatives d’entrée des forces de l’ordre. Après une vague de fumigènes aussi coutumière qu’illégale en intérieur, une brigade tente de franchir une barricade. L’assaut est repoussé avec force efficacité par le peuple des ronds-points, qui relance tous les obstacles à peines écartés. Une seconde tentative est avortée cette fois par une tortue, tapis de corps emmêlés cher aux écologistes non-violents. Les deux approches, complémentaires, ont fait leurs preuves. Dans le feu, l’alchimie a commencé.

Jamais occupés mais toujours aux aguets, seules les discussions nous distraient vraiment. Entre écologistes, nous parlons de notre rapport aux GJ, nos avis divers sur leurs méthodes, et les échanges que nous avons eus avec eulles. Avec nos idées croisées, nous finissons par admettre que soumis aux violences policières et médiatiques, on finit par ne plus vouloir, ou pouvoir, tendre l’autre joue. Nous, il faut le dire, sommes ou avons été en grande majorité des étudiantės blanchės du supérieur, jouissant des privilèges de l’indifférence et du détachement. Nous reconnaissons également que malgré sa pénibilité, cette confrontation de nos valeurs et méthodes à d’autres, radicalement différentes, est une chance et une opportunité.

La nuit avançant, la police s’est presque totalement désengagée, et l’Assemblée Générale de minuit s’ouvre sur cette question : partir ou rester. Maladroitement, le facilitateur de XR annonce en préambule qu’une majorité d’écologistes consultés souhaite s’en arrêter là, et qu’ainsi l’association se désengage, indépendamment des autres participantės. Qui en est le décideur ? La démocratie de la maison du peuple naissante semble court-circuitée. A raison, un GJ rétorque : la convergence se construisait, ne pas terminer l’histoire d’un commun accord serait un échec. La suite des débats est à mes yeux le moment le plus important de l’occupation. Les arguments opposés, s’ils sont clivants, ne dessinent pas pour autant des camps. Donner une bonne image aux médias est pour certainės une farce, pour d’autres la raison même de l’action et un moyen d’atteindre de futurės militantės. Les dégradations, un mal nécessaire ou des erreurs à effacer et nettoyer avant de rendre le lieu. Les quatorze heures d’occupation, une réussite ou seulement un commencement insignifiant. Partir de notre plein gré avant d’être délogés, une victoire élégante ou une défaite répugnante. Les propositions sont légion : partir discrètement en espérant leurrer la police, envahir la seconde moitié du centre au petit matin, se servir dans les boutiques au nom de la justice sociale.

La discussion piétine, les échanges deviennent nerveux, la fatigue se fait sentir, des colères émergent. Une proposition débloque le dissensus : proclamer l’autonomie de la commune d’Italiedeux, où chaque personne peut maintenant décider de partir ou rester sans rapport à son groupe d’origine. Une prise de température vient renforcer cette position : même au sein d’XR, l’envie de continuer est omniprésente. L’Assemblée se clôt sur un horaire pour la suivante et sans encore statuer de règles pour les dégradations. Des écologistes vont s’abriter dans le seul espace sans lumière pour tenter de trouver le sommeil pour une paire d’heures, sans succès. L’annonce finit par tomber : cela tourne mal, il n’y a plus de médiatrices/médiateurs, la police va attaquer violemment et des dégradations majeures sont commises. Rien de tout cela, semble-t-il, n’était vrai, mais XR a fini de céder l’espaces à d’autres. Sans plus trouver une seule tête familière, je m’esquive également. J’apprendrai plus tard que les occupantės ont finalement choisi de quitter le lieu sans faire de grabuge. La dernière Assemblée Générale a dû être bien différente de celle de minuit pour en arriver là.

Je ne saurais dire si la journée de cohabitation fut une réussite, mais quatorze heures ont suffi pour commencer à se comprendre, à remettre en question nos idées reçues, à accepter d’autres visions, parfois. C’était une première expérience de convergence, et elle fut riche. Nous avons les mêmes adversaires et les mêmes objectifs, aussi malgré nos désaccords, je suis convaincu qu’il va falloir la renouveler aussi souvent et aussi vite que possible. Il y a urgence, et beaucoup à gagner.