Addict anonyme
Mars 2016
Quelques habitués sont déjà
arrivés, ils aident à installer les chaises en bavassant calmement. Les tracts
sont encore minutieusement rangés sur une table à l’entrée, juste en bas de
l’escalier. D’ici une dizaine de minutes, lorsque la salle sera prête, on les
disposera sur les sièges de tout le monde. Quelques belles phrases, quelques
conseils ; les participants ne viennent pas pour les tracts. Ils viennent
pour partager. Pour diluer leur malheur dans un volume de marginaux : les
accros. Certains ne viennent qu’écouter : c’est pour chercher la lumière
qu’il descendent ces marches, pour un aperçu de ce qu’est l’espoir, la
récompense de l’effort. Une vie peut-être un jour exempt d’addiction. Certains
sont venus à la demande d’un conjoint, un parent, un médecin. Certains sont
venus parce qu’ils n’ont nulle part ailleurs où aller. Leurs familles, leurs
amis, ont essayé de les aider, leur ouvrir les yeux. En vain. Alors ils ont
essayé de les accepter, malgré leur faiblesse. Leur penchant. En vain. S’en
procurer, depuis quelques années, est une véritable épreuve. Les fournisseurs
n’inspirent pas confiance. On espère que ce n’est pas trop coupé, qu’on ne
s’empoisonne pas à petit feu. En vain. Alors on tente de résister, et on vient
ici.
-Bonjour, je m’appelle William...
Aujourd’hui, cela fait deux semaines que je n’en ai pas pris. A chaque instant,
chaque seconde qu’égrène ma montre, je sens le désir, inhumain, monstrueux, s’agiter
à travers mon corps en manque. Mais je tiens, pour mon petit garçon Jeremy, et
pour ma fille à venir. Ce sera le mois prochain. Je veux qu’ils puissent
grandir et ne jamais avoir à dire : mon papa, il n’arrive pas à s’en
empêcher. Ce n’est pas sa faute, vous savez, mes grands-parents étaient comme
ça aussi. On ne peut pas lutter contre sa nature... Et bien si ! C’est un
combat, à chaque instant, chaque seconde qu’égrène ma montre, mais ce combat je
vais l’emporter ! Pour eux ! Pour tout le monde ! Deux semaines,
d’ici peu, paraîtrons infime.
-Bravo William, je pense que l’on
peut t’applaudir, tu l’as mérité. Et merci pour tes mots, ils comptent beaucoup
pour nous.
Et là Judith éclate en sanglots.
Cela arrive, parfois. Le calme devient silence. Et respect. Si elle veut
parler, nous l’écouterons. Sinon nous la réconforterons. Nous savons, comme
nous savons que cela pourrait être nous, la prochaine fois.
-Je... J’étais à une une soirée.
Ça faisait un an... J’ai bien dansé, j’ai beaucoup rit. La nuit avançait, et
les gens ont commencé à boire, manger et fumer n’importe quoi. Et puis il y en
avait sur la table. Je n’en voulais même pas ! J’avais oublié jusqu’au
goût... Et puis il y avait cette fille, tellement belle, tellement gentille...
Elle m’a demandé pourquoi je ne voulais pas. J’aurais voulu lui dire, lui
décrire, le dégoût, l’angoisse, les proches qui n’en peuvent plus, l’impression
de redevenir... Un animal, soumis... À une pulsion ! Comme une bête !
Mais je n’ai pas pu. J’étais bien avec elle, je voulais lui faire plaisir. J’en
ai pris. Et depuis je n’arrive pas à me débarrasser du goût... Et rien que de
penser d’où ça vient... Je me déteste. Je me dégoûte ! Maintenant c’est
sûr, je ne pourrais plus jamais ! Je me suis sentie tellement mal...
Et tout ce temps, elle n’a pas
cessé de pleurer. Tout le monde est bouleversé. Mais elle n’a pas fini.
-J’ai encore vue une émission, je
me sens tellement coupable ! Comment font-ils pour continuer à en
vendre ! Ces gens n’ont vraiment aucun coeur ? Aucun respect de la
vie ? Pourquoi peut-on encore, aujourd’hui, tuer des animaux pour les manger !?
C’est la question qu’on voudrait
tous leur poser, nous, les Omnivores Anonymes.
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