La sensibilité
Octobre 2015
Je vis, verrez-vous ?
Quel est le propre de l’Homme ? Pour l’artiste, c’est la
capacité à créer. Pour le croyant, c’est la foi. Pour l’érudit, c’est la
culture. Pour le philosophe, c’est la réflexion. Pour le scientifique, c’est la
possibilité de comprendre et maitriser. Et pour moi ? Et bien je ne vous
poserais qu’une question : un animal peut-il s’émerveiller ? Le
propre de l’Homme, c’est sa sensibilité. Au fond, artiste, croyant, érudit,
philosophe et scientifique s’accordent là-dessus, je pense.
Pourtant cette sensibilité, nous la perdons lentement, trop
engoncés que nous sommes dans notre confort, notre douce et rassurante
passivité. Le génie peut aujourd’hui nous sembler hors de portée, et pourtant
il est aussi que nous. Mais le génie est sensible. A quoi ? A un passant
dans une rame de métro, à un reflet sur la vitre d’un immeuble. La sensibilité,
c’est de rester disponible à toutes ces petites choses qui nous paraissent
banales, monotones, déjà vu. Le problème est là : nous sommes blasés. Notre
environnement nous semble contrôlé, sans risque, mais surtout, sans nouveauté.
Alors qu’il suffit d’ouvrir les yeux pour déceler beauté et originalité
partout. Vivre chaque jour comme si c’était le premier.
Seulement un écran se dresse entre nous et notre
sublimation : l’efficacité. Nous sommes incités à toujours plus apprendre,
voir et écouter, nous ne pouvons plus perdre un instant. Quelle autre raison
peut vous pousser à vous jeter sur votre portable sans arrêt, pour reprendre un
énième jeu ou envoyer un message, simplement pour meubler tous ces temps
« morts » ? Sauf qu’il ne s’agit pas de temps morts, mais de temps
« libres ». Le génie, c’est celui qui n’hésite pas à saisir cette
liberté. Plutôt simple, en somme. Alors qu’attendez-vous ?
Je vous propose un exercice simple : éteignez votre
portable pour une journée, une seule. Pas de musique dans le tram, pas de sms
pendant les pauses. Et pour une journée, pas plus, ne pensez pas à ce temps que
vous perdez : pensez à celui que vous gagnez. Si cela vous a paru inutile,
voir contre-productif, et que votre journée habituelle vous allait bien mieux,
dites-vous juste que comme toute expérience, elle méritait d’être vécue. Mais
qui sait, peut-être découvrirez-vous quelque chose…
A ce premier constat s’ajoute une multitude de sujets portant
à réflexion : par exemple, pourquoi faire dans l’écologie ? La raison
pour laquelle, à mon avis, nous le devons, c’est que depuis les débuts de
l’humanité la nature a été sa source d’inspiration exclusive. Si elle
disparait, nous n’aurons plus rien auquel être sensible, et donc plus de pistes
d’innovation, autant scientifique qu’artistique.
En politique maintenant, ou plutôt dans les priorités
d’ordre social : chaque individu, chaque parti et même chaque régime
cherche ce qui lui assure la plus grande stabilité. Et nombreux sont ceux qui
se leurrent en pensant pouvoir parvenir à cela sans consensus. A l’échelle
d’une vie, cela se vérifie parfois, mais je m’interroge ici sur le devenir de
l’humanité, et selon moi, il est encore ici question de sensibilité. On peut
invoquer la liberté limitée par celle des autres, celle d’expression, d’actes
et de pensées (oui, même cela est partiellement violé par une société trop
normée). Mais ce qui réside au cœur de tout cela, c’est le respect d’autrui, ce
que certains nomment solennellement la fraternité. Si tout un chacun devient
capable de s’exprimer, d’agir et de penser dans le respect des autres, alors on
peut avoir consensus (et non pas unanimité, il doit et devra toujours y avoir
débat et divergence d’opinion pour ne pas tuer la conscience humaine), et alors
on peut rêver de liberté, d’égalité et, pourquoi pas, de profit.
Bien sûr le
respect peut paraitre un songe d’utopiste, et il l’est en effet si on ne discerne
pas son origine. Vous avez deviné ? La sensibilité. Je ne demande pas
d’altruisme inconditionnel, d’empathie pathologique, mais simplement d’ouvrir
ses yeux un peu plus grand, et s’autoriser ainsi deux principes de vie
fondamentaux : comprendre, et comprendre ; appréhender, et accepter.
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