Spotlight
2016 - Tom McCarthy
Vous pourriez me dire
que de parler du dernier Oscar du
meilleur film, ce n’est pas aller chercher trop loin. Vrai, mais soyons
clair, parmi les dizaines de films que je regarde, j’ai jugé que celui-là
méritait sa petite page, parce qu’on ne peut pas ne pas en parler. Et c’est
sûrement aussi pour cela qu’il a eu l’Oscar. CQFD.
Je vais expliquer rapidement de
quoi il traite, mais ce qui me semble vraiment intéressant, c’est discuter de
la raison de son succès à ce moment.
Spotlight, c’est une équipe de journalisme d'investigation pour le
Boston Globe, qui se retrouve à enquêter sur un prêtre pédophile en 2001. Et
avec l’arrivée d’un nouveau rédacteur en chef, extérieur à la ville ET juif,
cette affaire devient de première importance. A force de discuter avec avocats et victimes (des discussions
qui ne peuvent que vous marquer), ils mettent le doigt sur un système d’une
ampleur effrayante : des dizaines de prêtres
pédophiles rien qu’à Boston couverts par l’Eglise catholique. Et ce système
va tout faire pour arrêter les reporters. Mais comme vous le savez, l’histoire
a été révélée, incitant d’autres victimes dans plus de 200 villes du monde à
témoigner.
Ce film est remarquable
pour plusieurs raisons. D’abord, parce qu’il fait son taf : on y croit, le
jeu d’acteurs et la réalisation sont excellents, il mêle information, narration et émotion avec brio. L’émotion surtout, épars
mais puissante. C’est le fait rapporté plus que la façon, sobre, de
l’introduire, qui choque. Ce que j’ai trouvé, d’autre part, particulièrement
intéressant, c’est cette vision pour
moi nouvelle du journalisme. Plus
une forme de manipulation, plus une industrie du chiffre et du choc, mais un
contre-pouvoir libre et une volonté inébranlable de dévoiler la vérité. J’ai vu
des humains et plus des machines à écrire. Des humains avec des sentiments. Et
ces sentiments vont être chamboulés par leurs découvertes.
Mais voilà, autant l’année
dernière l’Oscar du meilleur film était une récompense technique (Birdman et
son monumental plan séquence), autant cette fois le film est d’une réalisation
sobre. C’est sa pertinence qui est méritante. Mais pourquoi maintenant ?
Une petite chronologie,
d’abord :
Alors que le pape Jean-Paul n’a
jamais évoqué ce problème, Benoit XVI, intronisé en 2005, y réagit vivement,
prônant une politique de transparence et une «tolérance zéro».
Dès février 2010, les révélations
d’affaires en Irlande, en Belgique, en Allemagne et dans d'autres pays d'Europe
font l'objet de quantité d’articles.
En 2013, le pape François révise
le code pénal du Vatican pour aggraver les sanctions en cas d’abus sur mineurs.
En 2014, il dénonce pour la première fois la « complicité » d’une
partie de la hiérarchie catholique, et soulève des sujets tabous tels que le
suicide des victimes.
Ce que je pense :
le monde s’ouvre, et les esprits aussi. Dans les plus hautes sphères de
l’Eglise, et malgré une résistance féroce, on comprend que l’information ne
peut plus être contrôlée, que les gens veulent d’une honnêteté qui fait aujourd’hui défaut à nos institutions. Et cette
ouverture pourrait être une force : parce qu’il faut mettre le doigt sur
ses erreurs pour parvenir à les dépasser, et que liberté de parole implique
liberté de pensée. Une part de l’Église, incarnée par le pape François,
comprend que si la foi, individuelle, reste immuable, l’institution les
réunissant doit s’adapter à son
époque : une époque de familles recomposées, de couples homosexuels, mais
aussi d’hégémonie scientifique. Une époque de doutes, de remise en question. Car certitudes aveugles et préceptes
religieux ne font pas bon ménage. Mais certitudes aveugles et préceptes
scientifiques non plus. Le doute est une force, une vraie et belle force. Lui
seul permet d’avancer. Et Spotlight, plus que la critique acerbe d’un système
d’un autre temps, est une invitation à observer, comprendre, et évoluer.
Scénario : Josh Singer
Musique : Howard Shore
Photographie : Masanobu Takayanagi
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